Post mortem blues.
Je me souviens : l'époque où nous mangions des mangues
En pagnes sur la grève où nous avions faim ;
Faim de rêves nouveaux, de leurres et de langues,
Le chignon incolore ornementé de lin.
Les vieux loups , aux abois, s'écroulaient aux lisières
Des forêts de mangrove et de chanvre indien,
Enveloppés dans leur peau, notre unique bien,
Nous partîmes rejoindre les cités minières.
Gelés jusqu'aux sourcils, les enfants de l'Histoire
Que nous fûmes allions sous la neige, implorant
De revoir le soleil, un arbre, un éléphant
Qui n'était pas celui dont nous portions l'ivoire.
Et puis je me souviens du bruit des chaînes mortes
A l'automne des rois, saison des pluies de sang,
De la fleur au pétale ovale, incandescent :
La colchique écarlate éclose sur les portes.
Sylve ancienne, ouïs-je le cri des macaques ?
Celui des lémuriens aux yeux d'or et de nuit ?
Non. C'est un souvenir d'humus bleu qui s'enfuit
Très loin de ma mémoire, et vers les catafalques.
C'était le macadam ma vie, et la promesse
Non pas d'un jour meilleur mais d'un équivalent.
C'était de la revoir, même sanguinolent,
Mon italienne aux yeux doux comme une caresse...
Si je me souviens bien, à l'aube, l'Aphrodite
Ne sortait plus, de peur d'être prise en photo.
J'allais donc nu, lauré, debout sur le coteau,
Les bras en croix, hurler la tristesse non-dite.
J'allais aux magasins me combler de casquettes
Avec des inconnues, filles aux cheveux teints
Qu'un clin d'œil ensorcèle et dont roulent les reins,
Danseuses de toujours ne parlant que de fêtes.
J'aurais su les aimer, en composer l'éloge
Mieux qu'un barbare blond à carreaux d'aviateur,
Celui là ce n'était que le corps palliateur,
Que l'acteur de génie et le mort dans la loge.
J'étais un égaré, bien mauvaise bohème
Que celle au pays où j'ai délaissé mon cœur...
Je me suis pavané, j'ai bu cette liqueur
Tendre du plus pur vice, avec un peu de crème.
Et dans le vert de mes prunelles frelatées
Le reflet d'un enfer vierge s'imbriqua,
J'avais dans le palais le goût du paprika
Quand mon marteau de bois morcela les trois fées.
Mon chemin s'achevait loin des marbres de Rome
Et j'en ai ramassé la poussière, et des pleurs
Lorsque je l'ai baisée ont jaillis : les lueurs
Si proches m'annonçaient le retour à Sodome.
Le retour aux passions sous les premières lunes,
De la notre, jusqu'à la neuvième d'Endor.
C'était le temps bénit du jardin qui s'endort
Au refrain sur lequel, toujours, fondent les brunes.
J'ai baisé cette main d'un signe du zodiaque...
Je m'en souviens, c'était le treizième, aux doigts fins
D'où le soupçon du sang des éphèbes défunts
Perlait, rougissant les ongles, et faisait flaque.
Vous auriez juré voir la belle adolescente
A qui nul ne résiste, à qui tous les bouquets
Sont offerts mêmement que le fond des secrets...
Suffit-il qu'elle se pose au balcon puis chante ?
Avant la fin des temps ce fut ma fiancée.
Nous nous sommes battus en époux chiffonniers
Dans les soirs délicieux des mensonges niés ;
Choriste des hauts cris, ma pucelle offensée.
C'était beau ; de la fougue et des poisons macabres
Sous un ciel de printemps, entre l'orme et le buis,
On se tuait le soir, aussi, tout près des fruits
En salade, sous les sept yeux des candélabres.
Quelquefois j'allais seul rejoindre la Nature
Et sous une cascade m'inonder le front.
Etrangement lassé, lassé de cet affront
D'aimer mourir des mains d'une femme immature.