« -Tiens, Evora est morte. Tu sais, c'était une des chanteuses préférées de ma mère. Elle avait cette voix des vieilles fumeuses de cigares et cette tendresse de celles qui se sentent les grand-mères du monde... On la voyait bien chantonner sur les rives du Cap-Vert, assise sur le balcon, bercée par le balancement d'un rocking chair et presque invisible, cachée parmi les volutes de fumées et les ronds vaporeux. Ils l'appelaient la Diva aux pieds nus, la vieille. C'est joli ça : la Diva aux pieds nus. Il n'est pas nécessaire de porter des chaussures pour bien chanter, qu'on se le dise. C'est bon d'être enraciné parfois. Et des divas de ce siècle Evora fut la plus arboricole, la plus lourde d'oiseaux, la plus tardive et des trésors latents il fut certainement un des plus précieux aux cotés de la magnifique Susan Boyle. Ah ! Rien qu'à l'aurore de ma vingtaine j'en aurais vu passer des anges anéantis ! Un ange passe... Malgré leur qualité d'êtres éternels devant l'Eternel les anges ne font jamais l'effort de rester. Evora était certes pas mal ridée mais on l'a connue si tard ! C'était la seule vieillarde éphémère, vous en ferez pas d'autres ! Mais c'est normal, Cesaria a pris le temps de faire des racines avant de laisser choir les fruits mielleux de sa musique douce et tripale. En as-tu cueillis les plus merveilleux ? Moi non. Tu sais, c'était une des chanteuses préférées de ma mère. Moi j'attends toujours que les gens meurent pour m'y intéresser, autant te dire que les objets de mon intérêt vont grandissant à l'infini ; les vivants ne sont que sept milliards. Evora n'en faisant plus partie il me reste une œuvre, un sourire, une mélancolie, un exigence et une odeur tranquille de Havane consommés. Car quand un ange passe il laisse toujours un peu de lui-même, quelques indices pour retrouver le chemin des paradis perdus. Alors à la prochaine Mamie ! On se reverra le temps d'une chanson ! »