I
Ô brulure natale !
Je n'entends plus tout ça : la pourpre de la terre,
Le chant du lémurien caché parmi les fleurs,
Les rires maladifs qu'ont les enfants de verre,
Le soleil musical, le front brun de mes sœurs :
Ces petites filles qui courent sur le sable des lagons, marchandes de colliers de graines de l'aube au crépuscule, du crépuscule à l'aube et tristes et
souriantes...
II
Reviens vers moi ! Montre que tu es mon sang ! Coule ! Vrombis ! Roulements d'œil bovin, entrailles, chair, mère, flamme, danseuse ensanglantée parée d'or, pieds à
mes lèvres ; rougeoiements !
Tu reviens plus féline et douce, tu reviens...
J'ai mâché les cactus pulpeux d'hallucinations ! Je ne vois que les cheveux de celle qui est nue, la plus nue, noirs, et je transis entre ses bras !
Noir
essaim de mes douleurs, voluptueuse étreinte !
Le Pengalan m'emporte ! Atteint, je suis blessé :
Un rayon de soleil ouvre ma poitrine et des oiseaux nacrés picorent dedans. Je flotte, les pêcheurs saluent ma carcasse pleine de ciel. Je flotte.
Peut-être vais-je me décomposer en cette mangrove labyrinthique et peut-être une orchidée-incandescence sera mon épitaphe. Peut-être.
III
Il paraît que les fruits qui pleuvent sont comestibles pour les morts qui me ressemblent.
Voici le verger de mes souvenirs, mon âme à perte de vue. Mangeons.
Il faut saigner la papaye, l'orange et la goyave. Vite !
Avant l'enfer.
Mon premier paradis, peuplé de chiens errants,
Qu'est-ce l'enfer pour toi que la faim fouette, tiraille et tue ?
IV
Terre des diarrhées fatales et des fièvres sans fin ! un passant qui vomit et tombe dans la rue...
La misère est le royaume du bref autour de la colline royale.
Et l'armée ! Et la politique ! Galvaudées !
Entre les mendiants affamés et le reste plus affamé encore il-y-a t-il une place pour les damnés qui se griffent la peau des joues et cherchent leurs yeux par terre
?
Non, ce sera pour l'armée et la politique, galvaudées.
Et puis, pures saisons des pluies et de la faim, vous n'avez pas ôté le sourire aux enfants...
V
J'ai joué avec des petits cailloux.
Tout était là. Le monde et l'imagination ; dans des petits cailloux.
Bonheur minéral de mes premiers mois ! Cailloux !
Et ils jouent avec des petits cailloux, et tout est là ; le monde et l'imagination.
Ils courent sans raisons, ils rient sans raisons, ils pleurent avec.
Cheveux crépus, vêtements trop courts, pieds déchiquetés. Rêves de rêve. Joueurs sans mise.
Avenir.
VI
Des fleurs courbées sur les rizières...
Ce sont les femmes de là-bas ;
Pleine d'un sortilège et fières,
Paix analogues aux combats...
Prostituées, vierges et mères
Les vents du sud vous font des draps
De poussières et de lumières
Qui s'envolent à chaque pas.
Je vois encore ma mère : elle
Est assise très dignement,
Ne se sachant bonne ou cruelle...
Je vois encore ma maman
A la lueur de la fenêtre
Ecrivant sa dernière lettre...
VII
Et il y a là-bas terre, la brousse et les ravins. Le zébu roi du monde, bosse en place.
Le regard bizarre du lémurien nocturne.
L'Indri aristocrate,
L'arbre plat avec lequel s'évente les dieux,
La jungle de bois et celle de pierre,
La nuit à Tana, bariolage d'infinis,
L'océan qui rumine pêcheurs et pirates dans la bave saline,
Une tombe,
La danse surhumaine,
Et mon cœur.