Eros et Psyché :
A celle qui m'aura aimé,
A celle que j'aimerai,
A l'inexistante...
Par Canova.
Nous qui nous aimions lorsque, rideau fermé,
Dans l'ombre et le parfum d'un songe désarmé
Au delà du présent, des rigueurs éternelles,
Nos échines s'ornaient, nues, d'une paire d'ailes ;
Anges le temps d'un soir, l'un par l'autre charmé.
Souviens-toi : la jeunesse aux rires incertains
Et les vœux sans pareil éclos en ces matins
Que fertilise et mord la fièvre de l'extase,
Roses fanant au soir sans corrompre leur vase ;
Souviens-toi de nos cœurs défiés, jamais atteints.
Puis souviens-toi du jour où nous nous sommes vus,
Plus tendres que jamais et jamais inconnus ;
Comme nés amoureux, parmi l'air botanique
Et le vol des moineaux, de cet instant magique
Qui fait un couple heureux de deux enfants perdus.
Quand j'ai posé mon front sur ton sein et redit
Que je t'aimais, répond, où fut le paradis
Ailleurs qu'entre nos mains et qu'entre nos visages ?
En toi j'ai découvert, effleuré, ses rivages,
Ses plaines, ses forêts et ses monts interdits.
Tu me trouvais beau, rare, et je ne savais pas...
Mon orgueil renaissait, mourrait, de tes appas
Auprès desquels brillaient amèrement les reines
Et tous les mannequins aux formes inhumaines
Comme un rien s'effaçaient à l'ombre de tes pas.
Les vers que tu me fis ne souffraient pas de mots ;
Ils se formaient d'un geste ou d'un regard, les maux
Qui nous étaient communs, tu savais les éteindre
Comme l'on souffle un cierge, et les nuits à s'étreindre
Nous immortalisaient comme font les tombeaux.
Douce, la couche est froide aujourd'hui, souviens-toi
Que, les yeux dans tes yeux, je me suis senti roi
Des choses et du temps, du ciel et de moi-même.
Souviens-toi que l'on fut l'incroyable poème
Que nul ne peut écrire, encore moins ne voit.
Surtout n'oublions pas ces aveux mutuels
Ni ces baisers brûlants, fauves, presque cruels :
Souviens-toi ! Nous avons bu le fond nos âmes
Comme une eau de Léthé qu'on aurait mis en flammes
Et dont les flots, en nous, chantent, perpétuels.
Sens-tu le souvenir qui remonte, plus vif
Que tout immédiat ? Cet instant décisif
Qui nous a séparés d'un mouvement de tête,
Je m'en souviens. Je sais : tout meurt. Mais je vous souhaite
De connaître l'amour implacable, intrusif.