Prémonition
Effleurant le ponton de mon rêve ou d'un fleuve
un navire de nacre affrétait une veuve
qu'il porta, chancelant, jusqu'où je méditais.
La brise a soulevé sous la lune son voile,
lente, par accident, à l'heure où tout s'étoile
et ses yeux pénétrants, d'azur fin, décrétaient
de l'atroce chagrin l'hallucinante liesse.
« -De l'or où je naquis à la merde où je meurs
il n'est qu'un pas de biche en qui brûle, déesse,
la triste passion dont les plus saines mœurs
sont de pendre le ciel aux sinistres lanternes
ou d'imiter l'amant nu que rien ne concerne
sinon l'art d'écraser -mille raisins- les cœurs
qu'il veut ensanglantés, puis exsangues... De grâce
demandez-lui, ce soir, qu'il signe et vous embrasse,
vous qui volâtes, lys à sa tige arraché !
De la mare où j'ai bu jusqu'où j'ai recraché
les nénuphars, tremblantes nageuses en robes,
il n'est qu'un pas d'enfant sous lequel se dérobe
un amour charcuté par le tranchant des fleurs...
Qu'en est-il du chemin pavé de mes douleurs
arpenté cette nuit d'assassinat du prince ?
Là, tendez-moi l'oreille... Entendez-vous qui grince
la porte de l'enfer des quatre vérités
où dorment les démons habillés de lexique ?
Qui frôlera la chair des seins que j'ai tétés ?
Ni personne, ni la sublime anorexique
qu'il a fuie en secret pour mieux la regretter.
Charme hérité de l'ange exterminateur ! Charme
des serpents infinis dévoreurs d'éléphants !
Voici votre bagou : silence d'oliphants
sur la plaine où les morts ont déposé les armes.
Donc ces roses d'Orion j'hésite à les offrir...
Je pense à les revendre au gamin de ma rue
qui n'a plus vu sa mère ocre et frêle sourire
depuis que ce garçon d'un soir a disparu.
Ma veuve aimée alors que mon doigt s'exécute
à votre sacrement sous les draps d'un motel
au jardin de Circé fanent les immortelles,
les fleurs d'argent soyeux, les roses-thé, mon but...
Vous ferez la timide, un peu, sous les feuillages,
et sur un matelas roux d'épines de pins
vos lectures seront les lignes de ma main :
des stigmates natals aux marques de grillages.
Ô veuve que vaudra l'éclat de vos rubis
quand le jour renaîtra sur les frissons d'écume
ensoleillant le ciel qu'ouvre votre pubis
par la persienne close ? Écoutez quand je dis
des mensonges plus beaux que vous-même ; j'assume
cet outrage effarant les outrages subis.
Tout comme j'en reviens je parle d'un massacre
illustre, de Gomorrhe en forme de brasier,
à vous qui revenez par ce bateau de nacre
d'un pays analogue au premier baiser.
Vous qui fûtes royale avant le guillotine
parlez moi des jardins vibrant au carrousel,
parlez-moi d'autrefois, très fougueuse latine,
les femmes d'aujourd'hui sont des statues de sel...
Lorsque le jeune vers babillait sous l'étoile
que vous chantait l'amant tendrement, nuitamment ?
Lorsqu'un premier pinceau bouleversa les toiles
quelle image de vous traçait le sentiment ?
Répondez-moi, pitié ! Que faites-vous semblant
d'être sourde et muette ? Il me faut des réponses
pour enfin délier les mûres de nos ronces,
pour que l'enfant d'un soir rencontre son loup blanc.
« -Vous empourprez mon front, les neiges éternelles
qui l'avait couronné fondent, je suis de celles
qui virent le soleil nourrisson se lever,
jeune homme de vingt ans qui pleure à mon chevet
dont les sanglots tombants meurent en étincelles
aux étranges lueurs. Mais vous m'avez rêvée. »
A Nolwenn Orillia,premiêre aimée.