Alméïade.
I
Petite de fleur de gel dans la plaine de sang,
Caresse où je revis ; ma réanimatrice !
Un pleur d'ange vaincu recèle la matrice
De mon âme : lys noir, sans feuille, obsolescent.
Voyez-vous quand l'Almée au visage indécent
Imprima sur ma joue gauche une cicatrice
Couleur bouche joueuse en mineur, saltatrice,
J'ai versé du sel rouge et du citron dedans.
Et c'est depuis ce jour, sous Orion, que je dors :
Couché sur cette mer où plongent les grands phoques,
Murmurant à l'étoile un profond soliloque.
J'ai vendu mes secrets avec mon or – en lots,
Aujourd'hui je m'ignore et j'ignore ma race ;
Il n'est plus qu'un baiser, un gouffre sur ma face.
II
Il n'est plus qu'un baiser, un gouffre sur ma face,
Pour que je pense à toi si la nuit se sépare
Du jour, que tu n'es plus qu'une tombée de fard
Qui s'abat, tristement, sur le sol, et s'efface.
Du lieu du premier deuil aux hauts cris sur la place
Qui n'entend pas gémir ton prénom, dans les gares,
Dans les cafés, parfois jailli d'une guitare ?
Toi, la délicieuse et plurielle ; la garce ?
Je te connais, l'Almée, car tu dansais pour moi
Jusqu'à t'évanouir dans les fleurs balsamiques
En m'appelant ton fils, puis tu tendais les doigts,
Tous illuminés par une flamme ironique.
Mais sais-tu seulement qui t'aime à en mourir
D'avoir vu cette flamme folle et fière rire ?
III
D'avoir vu cette flamme folle et fière rire
Les dieux qui se penchaient sur la terre en sont morts ;
Ils étaient beaux, leurs yeux de marbre nimbé d'or
Nous regardaient passer, en marche pour le rite.
D'avoir vu scintiller le feu mourut l'élite
Comme les magiciens : combien de Garcimore
Furent au bout de la file des choéphores ?
L'Almée, ne pleure pas... Tu n'as pas à me lire.
Moi le singe poète - eh ! piètre sentinelle !
Tu n'as pas à me croire. Aux neiges éternelles
Les petites raisons meurtrières d'humains !
Nous revoici tous deux, l'un et l'autre devant...
Pour que ton baiser brûle encore mets ta main,
Petite fleur de gel, sur ma plaie, sur mon sang.