Les fous de la nef.
I
Usez de seaux, videz vos injures au seuil
De l'hôpital où, trous béants sans fond, voraces,
Les avaleurs d'éther, en bavant aux terrasses,
Défèquent l'infini sans songer à l'écueil
Qui vous attend ! Videz, badauds de sainteté,
Votre peu de valeur contre ceux qui vous nient,
Ceux-là – les arriérés - qui pleurent la sanie
De la blessure humaine en train de fermenter.
II
Ils ont... nous avons (j'en suis) longuement chialer
Avec un rire atroce aux lèvres - délicates :
Trop pour un baiser - dans le secret des pénates
Et des cachots lointains où nul sain n'est allé.
Pourquoi, dans cette place où vont mourir les gens
A force de plier sous un ciel fait de marbre
Nous voit-t-on différents dès qu'on murmure à l'arbre ?
Nous qui ne parlons qu'aux arbres intelligents ?
Ah ! Puis nous hurlons : Foutre ! Salope ! Cageot !
Nous hurlons ce qui vient abraser notre bouche
Dès que l'insupportable retenue accouche
Du legs de Tourette en d'impitoyables mots.
Et nous chantons ! Je chante en éreintant ma voix
De l'Opéra, messieurs, des cantates magiques,
Ou du rap incisif plein d'un souffle tragique
Qui donne à la mâchoire une fureur de roi !
Pas pour vous, les connards ! Pour vous pas un seul chant
Émanant de la fleur ne vaut que l'on se penche
Afin d'écouter, dans un monde qui calanche,
Une seule fois la vie allant ! S'élevant !
Nous sommes heureux ! Na na ni na nère ! Et nous
Achevons l'immense œuvre où l'inintelligible
Se ressent, se promène et n'est pas si terrible...
Car nous ne savons pas pourquoi nous sommes fous.
III
Jaillissant des parois nous avons vu des hydres
Sans yeux ni bouche, laids tels des enfants maudits
Envahir les couloirs glauques de nos taudis
Quand nous mélangions l'absinthe avec le cidre.
Il apparaît, souvent, autour de nous les ailes
Décomposées d'oiseaux d'eldorados tombés
De leur nid délicat, la poitrine plombée,
Pour nous en prémunir nous chérissons l'ombrelle.
Parfois nous sommes nus au milieu des parures,
Peut-être rêvons nous d'un beau kalachnikov
Ou des embrasements d'un cocktail molotov...
Nous sommes enchantés par le bruits des fractures
Mais nos cœurs sont fondus d'innocence et de rêves.
Pourtant, intermittent, le désir de la mort
Nous attrape la gorge, nous serre, nous mord
Tant que nous éructons le souhait noir d'une trêve :
Crever ! Ne plus sentir l'amertume des larmes
Éroder et cerner notre visage froid
A la brise assassine et qu'un ultime toit
Soit notre trône de noble sans nom, sans armes.
Vous êtes des vautours et nos charognes blanches
Sont le repas frugal que vos vieux estomacs
Se font comme du pain ! Oui ; nommez les traumas
Et les syndromes : nous nous en frappons les hanches !
On s'en tape de vos morales sans morale
Et nous ne mourrons pas faibles à vos talons !
Demain l'embarquement pour les grands aquilons
Sur la nef des tarés assouvira nos dalles !
IV
Et nous voilà partis, vainqueurs des vents légers,
Au roulement du ciel intense et titanesque
Nous répondons des cris de singes agrégés
Et des chansons sans mots, au rythme barbaresque.
Biturés par l'envol nous titubons pourtant
Nous semblons des danseurs ; on tournoie ! On tournoie !
On se heurte, on repart dans quelque tournoiement
Sidéral au dessus d'un océan de soie
Qu'un cumulostratus étend sous notre nef !
Nous empruntons enfin la route théorique
Qui mène vers l'idylle ; en passant : notre chef
C'est le roi des soleils au coeur atmosphérique.
La route est longue mais la route se finit...
Nous savons mieux que vous où lancer nos amarres,
Si c'est de raison que nous sommes démunis
Ce n'est pas d'un endroit où trépasser, hilares.
La route s'allonge et les chants dans leurs échos
Creusent parmi les nues quelque tombe sonore
Quand le premier entrain se fait premier repos
Afin qu'y dorme le premier des amis morts.
La route est meurtrière et les sodas sont bus,
Le gaz nous fit roter des sifflements d'aigrettes
Et nous pétâmes tant qu'aux gueules des carbus
Nous « flatulions » le chœur qui pulsait notre fête.
Mais plus de gaz, ni chant, ni rien d'aventureux !
Que la route à travers une brume ennuyante
Et le plancher de la nef se montre poreux
Sous nos pieds maltraités par l'étoile fuyante.
Il ne reste de nous que les plus convaincus :
Pas grand-chose ; une équipe affalée, triste et sale,
Assise depuis longtemps ; n'ayant plus de cul
Comme une statue grecque érodée, au teint pâle.
Mais c'est à nous que se réservent les confins
Du voyage : à nos yeux comme une île incertaine
Se présente...Voici la chair pour notre faim !
Voici le paradis ! La mise en quarantaine !