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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 04:52
Trois jours dans le désert :
Jour un.

Trois ans dans le désert. Je me fais chier. Je crois m'amuser à viser un rocher avec des cailloux, si je le touche j'aurais gagné le droit de chercher une autre édifiante occupation. Trois ans que je ne l'ai pas touché.
Avant que la nuit ne tombe je peux jeter beaucoup de cailloux, j'irai les rechercher quand ma réserve sera toute lancée. Ce sera une belle promenade.
Pour manger j'attendrai, cette espèce de coyote que j'ai piégé ne me permet pas de faire bombance, je dois le manger vite pour ne pas en mourir, mais judicieusement ; par petits bouts, pas par membres. Pourtant, c'était un bébé. J'ai faim, mais j'attendrai.
Pas trop. La survie est une question de dosage : Si j'attend trop je m'effondre et ses parents, de bons parents, me dévoreront. Si je n'attend pas assez j'aurai faim plus tard, atrocement.

  Si cela fait trois ans que je n'ai pas cherché d'autres morceaux de déserts  que celui que couvre mon regard, c'est qu'ici  j'ai de l'eau. Il y a, entre deux pierres jaunies, comme un petit puit ; on y passe juste la main et l'on en prend dans le creux de notre paume, ce sont de petites gorgées qu'il faut boire par cent pour ne pas se déshydrater.
J'habite autour ; un petit amas de pierres, on peut en voir deux dont une moins haute que l'autre et au dessus plat qui sont ma chaise et ma table, on peut en voir une autre grande et large qui m'apporte l'ombre vitale, et une autre, au dessus plat également, c'est mon bureau, on peut voir aussi un cercle de pierres arrivant au genoux ; c'est une cuvette, ainsi que deux longs rochers entre lesquels est mon lit. Quand je travaille je déplace ma chaise jusqu'au bureau ; c'est éreintant, compliqué, douloureux mais ça me laisse un corps apte à fuir les bêtes.

  Je n'attend pas d'aide, c'est trop tard. Je ne veux pas mourir pour autant, c'est aussi trop tard pour cela. Le temps a tranché ; je ne me suis pas vu vivre et j'ai continué. Désormais tout ne sera que désert, le temps est injuste. Je le compte sur mon ombrelle minérale avec des rayures mais je n'ai rien vu venir. J‘ai pris mes habitudes et je chie face au ciel.
Au début, je n'osais même pas, je me disais, comme civilisé, que j'attendrai d'être dans des toilettes convenables... ma civilité a  basculée à la première flatulence malencontreuse... palpable, pour tout dire. Je suis un homme libre et odorant.
Et le désert est une telle atrocité, lorsqu'on le souffre dénué de connaissances et d'équipements, que ni l'ennui, ni la faim, ni la soif, ni le manque d'hygiène ne sont des ennemis assez cruels. Je les redoute moins que le sable. Moins que le sable étendu qui ne se laisse pas fixer et  qui brûle les pupilles, que le sable qui tremble et coule contre les ventres des crotales et des scorpions qui s'en extraient, que le sable qui frappe de ses grains votre chair à la vitesse du vent jusqu'à vous l'arracher.
C'est tout. Le sable ne fait rien d'autre, si il ne me tyrannise pas c'est que je suis mort.

  J'ai jeté tous mes cailloux, je me lève et je les ramasse. Il ne doit en manquer aucun, j'en ai cinquante et un et si ce ne sont pas exactement ceux là que je récupère je cherche les manquants. Parfois des jours entiers. Je les ai tous, je passe un regard sur le désert, il ne me montre que mon aveuglement précoce. Je retourne m'asseoir. Je jette la première pierre. Après ce tour, je mange.
Plutôt que de la manger j'ai  déjà essayé d'apprivoiser une bête qui ne me faisait pas envie ; j'en ai saigné trois jours, plus tard je l'ai bouffé par vengeance mais elle était malade. La pire année de ma vie. Et si j'y étais parvenu elle ne serait pas rester ; ça pue moins chez ses pairs et on y mange mieux.
Le tour est fini. Il me manque un caillou! Il devrait être par là... ah, c'est lui! Mm... non! Alors par là peut-être... C'est celui-ci!.. Même pas! Où il est bordel! J'ai faim! Ah! Le voilà! Oui... Quoique... Je ne me souviens pas de cette fissure... C'est pas celui-là.
Impossible de le trouver!
 
  La nuit... Le soleil était plaqué au fronton du ciel au moment où j'ai perdu ce caillou. Il me donne du fil à retordre. Je reprendrai les recherches demain. D'abord il faut manger, les mouches affluent.
Le petit coyote est bien daubé... Il en a le goût. Je trie les déjections des vers de la viande. J’ai de quoi remplir deux poings. J’ai beau avoir faim je jette le reste. Sinon les vers, je les ai au ventre. La qualité du parasite est d'être invincible, il y a des vers et des cafards au coeur du soleil. Et c'est avec eux que tout s'achèvera, quand tout sera plus vide que le désert et que je le regretterai. Ils grouilleront dans la poussière de l'humanité dans l'attente d'un autre empire pour lui ronger les orteils. Il tombera de lui même et ils le mangeront en entier, et ils le défèqueront sereinement. Je préfère les éviter.
Maintenant je n'ai plus rien à mangé et les vers mourront où ils sont nés : Un lieu d'abondance et de gastronomie continue.

  Je raie un nouveau jour sur mon grand rocher et vais au lit. Un tas de peaux diverses, de chacals et de coyotes ou je ne sais quoi que j'ai tué, est ma couverture face aux froideurs de la nuit. Le désert est une horreur. Je m'endors pour mieux le haïr demain.



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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 04:38
 
Trois jours dans le désert :
Jour deux.

Ca brûle! Mais ça brûle! C'est quoi? Du sable. Merde.
Quel rêve faisais-je pour l'oublier? Il est si présent qu'au réveil il m'efface de l'esprit ce qui n'est pas jaune, minéral et en grain, j'ai rêvé, c'est sûr ; mais de quoi? Il fait... chaud. Je me mets à l'ombre. Je cherche les bribes de ma nuit. Rien. Tant pis : Place au rituel!
Je m'allonge au plus près de la pierre à ombre et c'est parti! Et une, et deux! On accélère progressivement... Une, et deux, une, deux,  un'deux, un'deux, un'deux, un'deux, un'deux! Une... deux! Je suis saisi d'un vertige, mon corps se crispe et mon âme dégouline! Ca palpite entre mes doigts! Je serre entre le pouce et l'index : Et une, et deux. Mon sphincter ne laisse plus rien passer, contracté au maximum tout le plaisir et pour moi. Mes genoux se soulèvent par à-coup et une onde puissante se transmet jusqu'à mes cils! Mon coeur frappe à ma cage thoracique pour pouvoir s'envoler! Et une... Tout est sorti.
Je ne prend jamais assez mon temps pour ces choses là.
Je me lève, secoue le tout et remet mon pantalon. Je me sens bien.
Je vais chercher un peu le caillou d'hier avant d'aller travailler. Il me semble qu'il était par là... Oui! C'est lui! Je le range. Une excellente journée qui s'annonce! Allez, au turbin!

  Je travaille jusqu'à ce que le soleil ne me le permette plus. J'ai bien avancé ; je peux désormais jeter mes cailloux sur mon rocher et tout cela est satisfaisant.
Voilà dix tours de passés, pas un de perdu, la vie est belle.
Il est temps d'aller chasser, si ce bonheur est une ligne droite je devrai trouver les parents du petit que j'ai partagé avec les vers. Je saisis ma pierre-arme ; pointue et très solide c'est ma seule défense. Je pars.

  Mon territoire se limite aux endroits d'où je peux voir ma maison. En cas de tempête je n'ai qu'à rester stoïque et je retrouve mon domicile sous le calme du vent. Au delà j'y ai passé trop de temps, ignorant tout sur tout, et mon point de départ, et mon itinéraire, et mon point d'arrivée. J'ai ici un endroit où je peux circuler librement, car j'y ai des frontières. C'est une partie du désert moins horrible que le reste.

  Pour chasser, je me place en haut d'une dune et j'attend que passe un chien sauvage. J'ai bien pensé à amener mes cailloux et mon rocher, pour patienter, mais une tempête pourrait disperser mes projectiles à tout jamais.
J'attend.
En voilà un! Je célèbrerai ce jour et le graverai fort bien! Ils est plutôt loin. Je place les ossements de mon repas à côté de moi et prend le temps de m'ensevelir complètement. Un grand vent et c'est la mort, c'est le risque à prendre.
J'attend encore.
Il arrive qu'ils ne viennent pas, qu'ils aient déjà mangé où qu'ils perçoivent le traquenard. De plus, je n'entend rien. Il faut que je les sente me piétiner.
 Le temps passe, sûrement. J'ai peur du sable... Et si jamais je m'enfonçais là dessous et qu'il m'enterre vivant? Et si le bout de ceinture roulé qui me sert de tuba s'obstruait? Et si je m'asséchais, si l'eau de mon corps était drainée? Vite! Qu'il arrive!

                                                    nikkiburr Mr Coyote Face

  Il est arrivé... Je sens : Deux, trois, non... Deux pattes! Ah, quatre... quatre. Crac!
Je l'attaque par dessous, en lui immobilisant la gueule d'une main et en lui fendant le crâne de l'autre. Le petit aboiement aigu, plaintif et bref que j'entend à ce moment fait toujours sont petit effet... Mais là elle est morte, car c’est une femelle, la langue collant au sable.
Elle est plutôt grosse, c'est une bonne chose. J'ignore si elle est parente du bébé, je ne sais même pas si ils sont de la même espèce ; c'est de la viande dégueulasse, voilà tout. Qu’elle eût mangé les restes de sa progéniture n'aurait rien d‘extraordinaire. Ironiquement, elle lui succède. Je la ramène sur mon épaule, le sang coule. C'est qu'elle me lâche un son! Un ronronnement. Je la balance à terre et lui assure le silence à coups de pied dans son ventre. Qui se ramollit au fur et à mesure.
Avant d'être mangé il faut mourir et être mort depuis un certain temps. Je n'aime pas la viande saignante, surtout à flots. C'est fini? Plus de ronron? Bien.
Je la rapatrie donc à la maison, la pose sur le sol, lui ouvre la cage thoracique à l'aide de ma pierre-arme et, surprise, j'en ai deux pour le prix d'une! Un foetus bien développé s'effondre de ses entrailles. Je le mets de côté et je vide la bête de ce qui n'est pas du muscle et de l'os. J' y balance trente mètres plus loin et laisse un sable marron et rouge où je m'essuie les doigts, je me les passe ensuite dans l'eau.  Je prend quelques grosses pierres, brise le reste de ses côtes et les dépose sur son flanc afin de fermer ma conserve. Je verse du sable dessus. Elle tiendra deux jours, au plus. Son gosse fera un repas.

                                                       Thinking Of You by Isetoo

  La nuit étale les premières dentelles de sa robe. J'aime le soir, il ne fait ni trop chaud ni trop froid, le sable devient confortable. Je m'y allonge et attend le débarquement de la lune. Je réfléchis. Suis-je capable de retourner parmi les hommes? Je suis passé par le désespoir absolu. J'ai mené une vie sans dénouement, aucun. J'ai tiré par la queue un gros lézard et je l'ai mordu à vif, j'ai croqué son estomac pendant qu'il gesticulait, je l'ai tout mangé, j'ai recraché ses yeux et j'ai roté. J'ai dormis et me suis réveillé sous les dents et les becs des charognards. J'ai mâché et digéré une partie de ma chemise... Quelles conversations pourrais-je tenir?
Et puis il n'y a pas que ça... Je ne regrette rien du monde civilisé. Je devrais peut-être pleurer les îles flottantes ou le corps des femmes, faire le deuil de certains yeux qui  plus jamais ne me verront, frapper le sol de poing de n'avoir rien été avant de disparaître, souffrir et souffrir encore au souvenir de l'instant crucial qui m'à amener jusqu'à aujourd'hui. Rien.
Je devrais peut-être me parler d'amour, me dire qu'il y en aura un peu pour moi car j'en mérite comme tout le monde... Mais bon, m'en donnera-t-on pour autant?
En ai-je à donner? Quand, entre l'abattage de coyote errant et l‘indigestion monstrueuse, ai-je emmagasiné de l'amour à redistribuer? J'ai l'impression de m'être en tous points opposer à l'homme tel qu'il est devenu lorsque tous mes problèmes se sont résolus dans un tas de viande et une source d'eau... Si j'ai de l'amour, pourrais-je lui en donner?
Suis-je capable de ne vivre qu'à travers des cycles, moi qui ai connu toutes les longévités? La mode, la grande idéologie, le visage sous les projecteurs, la direction des sentiments, l'humeur, les moeurs mauvaises et les bonnes moeurs, la destination rêvée, la médecine efficace, ce qui est drôle et ce qui ne l'est pas, la cible de l'indignation et la durée de vie conseillée ; tout fluctue perpétuellement chez les hommes. Chez moi, tant qu'il ne pousse pas de jambes aux pierres et que le soleil n'explose pas, je peux dormir tranquille. Ce que je fais après avoir profondément gravé cette journée.


J'ai entendu des pas! C'est sûr, je... Bordel, je vois rien! J'en suis sûr... C'était un frottement régulier et ça s'enfonçait davantage que les canins... Mais qu’est-ce qu’il se passe! C’était bien des pas! Des pas de quoi? J’ai envie de le crier, je me retiens. Je regarde de partout, mes pupilles ne veulent pas s’adapter, je me lève et fais un tour dans les parages... Rien de louche. Mais c’était quoi ça? C’est pas possible! Qu’est ce qu’il s’est passé? C’était des pas humains, comme les miens! C’était tout près. A deux mètres! Mais c’est pas possible!
Oui. Ce n’est pas possible... Il faut que je me calme. Il n’y a personne pour marcher ici à part moi, ça fait longtemps que je le sais. Je me recouche et tente de retrouver le sommeil.
Les traces ne s’effaceront peut-être pas pendant la nuit, je saurai demain.







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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 03:59
Trois jours dans le désert :
Jour trois.

morbid tomatoes by kirbyrevo

Ah! Ca brûle! Mais de quoi je rêvais? Chaque fois, je me réveille au retour d’un grand voyage dont le décor doit exclure le sable et la pierre. J’ai dû rêver d’un monde de bois, d’eau, d’horizons biscornues, de boussoles obligatoires, de festins scandaleux et de salade à volonté. Un monde de tomates. Un monde où le pommier, la glycine, le sapin, la ronce, le chêne et le rhododendron pousseraient de grosses tomates rouges, de celles qui ont la forme du coeur comme on le dessine. Un monde de saisons dont l’hiver laisserait pendre aux arbres nus leurs fruits mûrs à jamais. On viendrait en marchant dans la neige, ou en ski, cueillir une tomate et manger un coeur... Que ce monde devait être doux.



  Je me lève et m’étire. Le rituel peut commencer. Je le commence. Et je ne le finis pas. Les traces... Entre la table et le lit... Les traces sont là. Peu estompées, se tromper serait se mentir. Ne pas les voir... Trop tard. Je peux fermer les yeux, elles sont là. Avec le dessin sous la semelle, la courbe, le renfoncement... Les traces de chaussures sont là. Que faire? Est-ce que je dois les approcher? Tout vérifier? Pour être sûr. Est-ce que je dois être sûr? Je vais les observer un moment. Je m’assois en m’en éloignant un peu d‘elles.
Si ce sont des empreintes à qui sont-elles? Homme? Femme? Tueur fou? Sauveteur? Habitant du désert? Enfant? Si ce sont des empreintes que font-elles là? Pourquoi ont-elles attendu trois ans pour venir se déposer? Pourquoi, à quelques jours près, trois ans? Pourquoi pas deux ou quatre? Si ce sont des empreintes qu'adviendra-t-il de moi?
Qu'adviendra-t-il de moi? Oui ; ce sont des empreintes.

                                            footprint in the sand by Axyk

  J'ai peur. Je ne m'y attendais pas. Je m'y attendais moins que la tempête qui me tombe sur la gueule. Grands vents, souffle de feu, lacérations, assourdissement, torture sans issue : Tout arrive d'un coup. Je suis une tortue dans mes vêtements, plus rien ne dépasse ; je deviens comme un de ces sensationnels hommes troncs mais, la tête enfoncé sous le col, je suis un peu plus rare. J'ai rentré mes pieds car mes baskets se sont retrouvées sandales, rien ne doit dépasser. Mais mes vêtements disloqués laissent de la chair libre et fraîche pour la tempête, et ma chemise, dont j'ai mangé la manche, expose mon épaule au fouet du désert. Le châtiment est millimétré : Chaque petit bout de peau est criblé de sable, il arrive si vite que je ne le sens pas rebondir mais s'enfoncer, et les grains ne fusent pas que de face! Il en vient de tout les côtés, ils me frôlent en griffant une multitude de traits rouges. Ca brûle, ça ne s'arrête jamais! Et chaque plaie se confirme car ils la fouettent encore! Et encore! Et ça rougis, ça mord, ça griffe, ça détecte les cellules épidermiques et ça les détruit! Je n'entend qu'un grondement, je ne vois que mes paupières et je ne sens que la douleur. Et autre chose.
Non. Ce n'est pas possible, vraiment. Qu'ai-je sentis? C'était étrange... J'ai sentis... une main. Une impossible main. Contre mes côtes, au dessus de mon crâne et ça s'est arrêté. Je peux encore tergiverser, à savoir si c'est une main d'homme ou de coyote mais je suis comme pressé par la souffrance ; je dois me concentrer pour la diminuer, j'ai peu de temps donc j'en viens au fait. Et à la marche à suivre : C'est une tempête de sable que je subis, quoiqu'il arrive, même ça, je ne dois en aucun cas bouger.
Il faut que je le crie, c’est aujourd’hui ; le moment qui décidera si je suis fou. Quand-je l’aurai crié il me faudra une réponse sinon c’est la solitude qui m’aura vaincue. Si je le crie plus rien ne sera comme avant, j’aurais passé le cap des névroses du disparu. Mais je ne peux pas bouger ; je dois le crier :

« Il y a quelqu‘un? ».
 
J’attend... pas de réponse.

La tempête s’arrête. Elle a bien sût masquer mes sanglots. Je suis seul malgré la main, aujourd’hui encore il n’y a que moi dans ce foutu désert. Que moi à l’horizon! Que moi, partout! Que moi nulle part. Et personne d’autre... Personne. Que moi, et c’est triste. Aucunement le vent ne souffle d‘une... Mais qu’est-ce que c’est? Tout le sable envolé s’est reposé à terre ; l’insupportable rideau s’est levé pour l’insupportable scène : Ca gît à un mètre de moi, couché sur le flanc, lacéré par la tempête, la chair rose et rouge et le reste habillé ; ça a l’air épuisé. Ca a même l’air mort. C’est réel? Je n’ose pas y toucher, je ferai mieux de me cacher, ça simule peut-être. Si c’est le cas ça réussit sa simulation.
C’est réel, le sable est tâché par son sang.
Trois ans... Je ne suis pas fou. C’est arrivé. Je ne suis ni fou ni seul.

                                             not_a_poet_by_tiny_vertebrae.jpg

   Ca ne bouge toujours pas... C’est vraiment mort? Comment le savoir? Je jette un caillou, sur la joue. Bien visé. Pas de mouvement, ni de paupières ni de bras. J’y vais.
J’y file un coup, dans l’estomac, pas très fort. Pas de réaction. Je m’accroupis vers son visage. Ses longs cheveux sont étalés, ses yeux sont clos, de leur coins intérieurs s’entame une coulée noire qui se termine sur les pommettes. Ce sont des larmes qui ont perdu le charme de l’éphémère. Ca a tenter de les effacer, en vain ; ça les a étalé. Et c’est moche. Avec la bouche mi-close, les lèvres décomposées par le soleil, ça pèle du front, du nez, de la mâchoire, ça mue! Une nouvelle peau pour se débarrasser de ce vilain mascara, avant de mourir. Parce que c’est mort.

                                             
 
Je reste là, à l’observer. Un cadavre, trois années sans attendre quoique ce soit et voilà ce que l‘on m‘envoie. Trois années à admettre que la sable aurait raison de moi en complicité avec l’ignorance universelle. Je n’étais pas perdu, j’étais abandonné ; trois années pour faire ce constat et vivre avec. Abandonné par les hommes là où ils ne sont pas. Strictement abandonné. Je m’y suis fait, mes coups d’oeil au lointain pour m’en persuader. Et voilà qu’une bonne femme vient me tapoter dans la tempête et mourir à  mes pieds!
Qu’en faire? Lui donner un nom. Me vient Sandy. Sandy... Non, plus subtil... Amanda... Lois. Lois c’est pas mal. Enchanté Lois! Ca sonne bien.
« -Enchanté Lois, moi c’est Stuart! Je la secoue.
-Ravie de faire votre connaissance Stu... Je dois ajuster le timbre, on dirait une folle :
-Ravie de faire votre connaissance Stuart! » C’est mieux .
Qui est Lois? Dans cette poche peut-être... Non, alors celle là... Celle là non plus... Cachottière, va! Ca doit être là, oui. Alors ; portefeuille banal, deux cartes bancaires, beaucoup d’argent en liquide, vantarde! sa carte d’identité... Ah, oui. Elle a déjà un nom : Lexus.  Lexus...  Je vais t’appeler Lois, hein , ça te va mieux! Lois Lexus Alligan, née le dix-sept août 1985 à Washington D.C. Qu’est-ce qu’elle vient faire là?  Oh oui ; j’oubliais :
« -Et qu’est ce que vous venez faire par ici?
-J’étais en voyage de noces, le car a fait une pause et ils m’ont oublié. J’ai cherché une habitation et je me suis fait prendre dans la tempête, c’était horrible! Heureusement que vous êtes là!
-Ah, ça c’est sûr, le désert ça pardonne pas... Enfin vous en savez quelque chose, hein? » Nous rions ensemble, elle a le sens de l’humour.
«-Et vous, depuis quand êtes vous là?
- Oh, ça fait une éternité... trois ans d’éternité. Je ne sais même plus de quelle maniêre j’ai atterri ici... Mais parlons de vous, puisque nous sommes coincés ici j’aimerais mieux vous connaître. Et puis je n’ai pas grand chose à raconter. Vous étiez en voyage de noces, quel dommage... C’était le bon, j’espère?
-Oui, c’est dommage... Jeff, mon mari, est quelqu’un d’exceptionnel... Il a sauvé un enfant d’un incendie, vous savez?
-Incroyable! Votre mari est pompier?
-Même pas! C’est ça le plus fou! Non, vraiment, c’est un homme courageux. Il n’a; comme moi, pas obtenu le permis de conduire mais mon Jeff est un héros. Pas comme Ed, mon ancien mari... Vous savez qu’il refuse de me verser ma pension? Même les enfants ne veulent plus le voir, c’est un pochtron. Je ne sais même pas quel mal m’a pris à vouloir l’épouser, ma ...
-Stop! »
Décidément cette Lois m’exaspère. J’ai beau faire dans le détail, elle ne m’est pas réelle. C’est toujours moi qui parle. Lois n’existe pas. Je suis seul avec un cadavre. Je me force à croire le contraire, Lois! Lois! Je suis là ; et toi? Et toi? Silence. Rien n’y fait : Il faut que j’ouvre la bouche pour qu’elle parle. C’est un cadavre, pas Lois.
Que je lui invente toutes les vies imaginables, tous les souvenirs et tous les espoirs inscriptibles dans un destin ne changera pas le fait que je n’ai pas pu la sauver et que j’ignore tout de Lexus Alligan. Je suis incapable d’être sauvé, incapable de sauver... Lexus... Je suis désolé. Qu’est-ce que j’ai fais?  Je n’ai pas sû te rassurer cette nuit en te disant que je n’étais pas dangereux,  je ne t’ai pas pris dans mes bras quand tu m’as averti dans la tempête avant de t’écrouler et j’ai saisi ton corps inerte et parler à ta place. Je suis désolé... Tu es venue pour moi et je t’ai méprisé. Tu es la seule a être venue, je ne peux pas te laisser partir seule...

                                              Desert_by_handsinpantsdance-copie-1.jpg
 
Le soleil retourne lentement brûler le cuir de ceux des antipodes, le ciel rougit et le scintillement des grains de sable dépose sur les dunes un voile de lumières irisées, j’ai passé beaucoup de temps à nettoyer Lexus ; la nuit ne tardera pas. Je vais à ma pierre à ombre et raie un nouveau jour, avec de petits traits perpendiculaires aux extrémités dans le sens du temps passé. Je recompte : mille quatre-vingt dix-huit traits dont un plus long tous les trois cent soixante cinq.

Je vais à mon bureau, je contemple mon chantier, je n’aurais pas pu finir... Il manque encore beaucoup de détails et la pierre n’est pas lissée mais, même de près, ça ressemble à une tomate. C’est plutôt une réussite que cette sculpture! Pour la sueur qu’elle m’aura coûté...
Quant au coyote et à son embryon ils seront entièrement aux vers. Ce soir je quitte le sable. Je m’en vais et je laisse à l’humanité un vide préexistant. Je laisse ma place qui depuis longtemps est prise, je laisse mon nom sur mon oeuvre inconnue et impossible à connaître, je laisse ma silhouette aux mémoires des chacals et j’offre à l’érosion ma bien-aimée demeure, adieu désert! Vieux camarade! Bizuteur acharné! Tu as maîtrisé chacun de mes instants, maudis chacun de mes pas, piégé chacune de mes nuits et vaporisé chacun de mes pleurs mais tu ne m’as pas tué, finalement. Finalement j’aurais été sauvé, quelqu’un est venu me chercher. Et je coopère.
Je suis debout à côté de Lexus, ma pierre-arme à la main ; je lève le bras et frappe de toutes mes forces.

  Si ça fait mal? Je ne sais pas. Je ne sais pas non plus si ça fait du bien... C’est juste définitif. C’est juste le bout du désert.

                                 Alone 2





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