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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 04:52
Trois jours dans le désert :
Jour un.

Trois ans dans le désert. Je me fais chier. Je crois m'amuser à viser un rocher avec des cailloux, si je le touche j'aurais gagné le droit de chercher une autre édifiante occupation. Trois ans que je ne l'ai pas touché.
Avant que la nuit ne tombe je peux jeter beaucoup de cailloux, j'irai les rechercher quand ma réserve sera toute lancée. Ce sera une belle promenade.
Pour manger j'attendrai, cette espèce de coyote que j'ai piégé ne me permet pas de faire bombance, je dois le manger vite pour ne pas en mourir, mais judicieusement ; par petits bouts, pas par membres. Pourtant, c'était un bébé. J'ai faim, mais j'attendrai.
Pas trop. La survie est une question de dosage : Si j'attend trop je m'effondre et ses parents, de bons parents, me dévoreront. Si je n'attend pas assez j'aurai faim plus tard, atrocement.

  Si cela fait trois ans que je n'ai pas cherché d'autres morceaux de déserts  que celui que couvre mon regard, c'est qu'ici  j'ai de l'eau. Il y a, entre deux pierres jaunies, comme un petit puit ; on y passe juste la main et l'on en prend dans le creux de notre paume, ce sont de petites gorgées qu'il faut boire par cent pour ne pas se déshydrater.
J'habite autour ; un petit amas de pierres, on peut en voir deux dont une moins haute que l'autre et au dessus plat qui sont ma chaise et ma table, on peut en voir une autre grande et large qui m'apporte l'ombre vitale, et une autre, au dessus plat également, c'est mon bureau, on peut voir aussi un cercle de pierres arrivant au genoux ; c'est une cuvette, ainsi que deux longs rochers entre lesquels est mon lit. Quand je travaille je déplace ma chaise jusqu'au bureau ; c'est éreintant, compliqué, douloureux mais ça me laisse un corps apte à fuir les bêtes.

  Je n'attend pas d'aide, c'est trop tard. Je ne veux pas mourir pour autant, c'est aussi trop tard pour cela. Le temps a tranché ; je ne me suis pas vu vivre et j'ai continué. Désormais tout ne sera que désert, le temps est injuste. Je le compte sur mon ombrelle minérale avec des rayures mais je n'ai rien vu venir. J‘ai pris mes habitudes et je chie face au ciel.
Au début, je n'osais même pas, je me disais, comme civilisé, que j'attendrai d'être dans des toilettes convenables... ma civilité a  basculée à la première flatulence malencontreuse... palpable, pour tout dire. Je suis un homme libre et odorant.
Et le désert est une telle atrocité, lorsqu'on le souffre dénué de connaissances et d'équipements, que ni l'ennui, ni la faim, ni la soif, ni le manque d'hygiène ne sont des ennemis assez cruels. Je les redoute moins que le sable. Moins que le sable étendu qui ne se laisse pas fixer et  qui brûle les pupilles, que le sable qui tremble et coule contre les ventres des crotales et des scorpions qui s'en extraient, que le sable qui frappe de ses grains votre chair à la vitesse du vent jusqu'à vous l'arracher.
C'est tout. Le sable ne fait rien d'autre, si il ne me tyrannise pas c'est que je suis mort.

  J'ai jeté tous mes cailloux, je me lève et je les ramasse. Il ne doit en manquer aucun, j'en ai cinquante et un et si ce ne sont pas exactement ceux là que je récupère je cherche les manquants. Parfois des jours entiers. Je les ai tous, je passe un regard sur le désert, il ne me montre que mon aveuglement précoce. Je retourne m'asseoir. Je jette la première pierre. Après ce tour, je mange.
Plutôt que de la manger j'ai  déjà essayé d'apprivoiser une bête qui ne me faisait pas envie ; j'en ai saigné trois jours, plus tard je l'ai bouffé par vengeance mais elle était malade. La pire année de ma vie. Et si j'y étais parvenu elle ne serait pas rester ; ça pue moins chez ses pairs et on y mange mieux.
Le tour est fini. Il me manque un caillou! Il devrait être par là... ah, c'est lui! Mm... non! Alors par là peut-être... C'est celui-ci!.. Même pas! Où il est bordel! J'ai faim! Ah! Le voilà! Oui... Quoique... Je ne me souviens pas de cette fissure... C'est pas celui-là.
Impossible de le trouver!
 
  La nuit... Le soleil était plaqué au fronton du ciel au moment où j'ai perdu ce caillou. Il me donne du fil à retordre. Je reprendrai les recherches demain. D'abord il faut manger, les mouches affluent.
Le petit coyote est bien daubé... Il en a le goût. Je trie les déjections des vers de la viande. J’ai de quoi remplir deux poings. J’ai beau avoir faim je jette le reste. Sinon les vers, je les ai au ventre. La qualité du parasite est d'être invincible, il y a des vers et des cafards au coeur du soleil. Et c'est avec eux que tout s'achèvera, quand tout sera plus vide que le désert et que je le regretterai. Ils grouilleront dans la poussière de l'humanité dans l'attente d'un autre empire pour lui ronger les orteils. Il tombera de lui même et ils le mangeront en entier, et ils le défèqueront sereinement. Je préfère les éviter.
Maintenant je n'ai plus rien à mangé et les vers mourront où ils sont nés : Un lieu d'abondance et de gastronomie continue.

  Je raie un nouveau jour sur mon grand rocher et vais au lit. Un tas de peaux diverses, de chacals et de coyotes ou je ne sais quoi que j'ai tué, est ma couverture face aux froideurs de la nuit. Le désert est une horreur. Je m'endors pour mieux le haïr demain.



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