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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 22:12

Ceci n'est pas un premier chapitre ni un prologue, c'est une partie d'un récit qui dévoilera sa chronologie au fil des publications, si je continue car j'ai l'art de ne rien finir. Un commentaire nourrirait bien sûr ma conviction... Bonne lecture!

 

 

 


La fin de ce qui vole.

 

Luis fendit sa chrysalide un jour qu'il s'était épris de magie, qu'il apprit quelques tours et qu'il échoua lamentablement aux yeux du public. Le problème c'est qu'il croyait en la magie, il pensait que c'était possible, qu'il suffisait de se laisser emporter. Truc ou pas truc. Il aimait aussi la poésie. Il affirmait que la poésie était magique, pourtant il ne viendrait à l'idée qu'aux imbéciles d'y chercher un truc. Pareil pour les jeux de cartes. Mais non ; tout le monde voulait tout vérifier, ils refusaient de se laisser avoir... au nom de la raison, piètre raison que celle des blasés en tous genres. N'a-t-on pas raison d'admirer ? Admirer, quelque part, c'est se laisser avoir, oublier qu'il y a un truc, préférer la plénitude... Lui voulait être admirer, n'y arrivant pas, il cherchait le truc...

 

Il se fichait pas mal du monde, il ne faisait tout ça que pour une seule personne. Qu'il aima sans connaître sans nom.

C'était en quelque sorte sa voisine, à quelques immeubles près. C'était même davantage qu'une simple voisine : c'était la miss de sa région. Elle avait toutes les caractéristique d'une miss, d'une miss France. A ses yeux, évidemment, d'une miss Monde. Non pas qu'elle fut la plus belle mais la plus importante, l'essentielle ; le monde réincarné. Mais son monde à elle était fait de sorte que les beaux allaient avec les beaux et les laids avec les laids ; pour que ceux qui pondaient des vers pour se sentir beaux restent seuls et que ceux qui n'avaient besoin que de cligner des yeux soient toujours en bonne compagnie. Un monde parfait où les gens parfaits n'étaient pas dérangés. Pensait-il.

Elle marchait accompagnée de bodybuilders et de top models... Lui était petit, ne grossissait pas et avait le visage abimé par l'échec. Il était sans diplôme, sans emploi et n'avait qu'un seul ami. Il n'avait pas de conversation ; soit sa timidité maladive l'en empêchait soit l'ivresse le faisait parler mais aussi oublier la poésie et la littérature pour le ramener au rang de beauf antipathique. Ainsi il ne lui disait ni bonjour ni rien. Il baissait les yeux de peur que des barbares n'estiment qu'il n'avait pas le droit de les regarder et qu'il fut frappé. Il était incapable de soutenir un regard, que ce soit le sien ou celui de celle qu'il aimait.

Pourtant, pourtant... il put apprendre ses yeux. Un jour il sut les voir subrepticement, un quart de seconde... là, il pleura secrètement. Il n'était pas un bleu plus pur, une prunelle plus écarquillée, pas un regard plus envahissant. Il pleura, peut-être manqua-t-il de s'évanouir au gré de son âme chancelante, obnubilée, comme jetée à la mer. Absente le temps d'un souvenir.

 

Marie.

 

Des abîmes où son âme avait chu il renfloua son nom, du fond de ce regard il avait jailli, évidence promise par la clarté de ses prunelles. Cette fille ne pouvait être que Marie. Non pas par le Christ mais par la mer, ça aurait dû être Marine. Ça aurait dû, mais ça ne l'était pas.

C'était très bien. Il savait on ne sait comment son nom... En l'appelant ainsi il passerait au mieux pour un traqueur, au pire pour un psychopathe. Mais il n'avait pas d'autel à son effigie ni mèches de cheveux volées durant son sommeil. Juste une vingtaine de sonnet pour en faire l'éloge...

De toutes les manières la nommer alors qu'il ne pouvait pas même la saluer relevait de l'héroïsme. Et ce n'était pas un héros, juste un raté devenu poète raté ; pas grand chose. Pas de quoi la faire chavirer, presque de quoi lui faire peur.

La vérité c'est qu'il pensait qu'elle allait le lire... comment ? Puisqu'il gardait ses poèmes dans un tiroir de sa commode ? Il l'ignorait mais cela lui semblait juste. Combien de ses ex ou présents petits amis avaient sacrifié tant d'heures pour écrire un éloge qu'elle ne pouvait pas lire ? Il le savait : aucun. Pour compléter la vérité il ne souhaitait pas seulement qu'elle les lise, mais qu'elle les aime.

Il entretenait ainsi l'impossible et de temps en temps la croisait, parfois il faisait de grands détours pour éviter de passer près d'elle. En fait il craignait qu'elle ne lui adresse la parole et qu'il pusse roter en réponse, ayant ainsi perdu le contrôle tout comme lorsqu'il vit ses yeux.

 

Un soir il bu. Il buvait beaucoup, c'était son exutoire. Un soir, donc, qu'il défoulait ses passions sur du vin blanc il tomba ivre mort, et ne se releva pas. Il rêva de fin du monde puis d'une grande plaine rase remplie de papillons, ils poussaient à la place des fleurs, battant l'air par millions. Mais lorsque le dernier se décrocha de sa tige le sol de la prairie fut vide, au bout d'un temps tous moururent de faim et tombèrent, devenant gris pâle, pour finir disséminés dans le vent ainsi que de la poussière. Alors quelques larmes s'échappèrent de ses yeux clos, il n'avait rien pu faire. Lui, le poète ; le père des fleurs. Et s'il était inconscient il ressentit ce rêve comme son plus grand échec.

 

« -Hé ! Hé ! Ça va ?

La voix était douce et inquiète. Une autre plus rauque ajouta :

-Tu crois qu'il est mort ?

-Je sais pas, attends...

Luis sentit une main se poser sur son front et une autre lui écarter les lèvres, c'était de longues et fines mains, apaisantes comme de la soie sur la peau, confortables. La première voix reprit.

-Non, il respire encore...

-Comment on peut encore respirer et avoir l'air aussi mort ?

-Il est peut-être dans le coma...

-Tant que ça ? Non... J'ai une idée.

Une main forcément moins soyeuse lui gifla les joues gauche et droite, la douleur le brûla.

-Mais ça va pas ?

-Si, c'est comme ça qu'il faut faire !

-Pour réveiller les gens dans le coma ? Ça se saurait !

Le comateux, lui, avait choisit son camp entre celui qui frappe et celle qui raisonne. Il trouva la force de se réveiller, ce n'est pas qu'un élan de lucidité accompagna la douleur subie ; c'est que s'il se prenait deux autres claques il tombait définitivement dans le coma.

-Ah, tu vois, ça marche !

-Hum... bon d'accord... mouais... »

 

Il ouvrit donc les yeux, pensant d'abord à se demander ce qu'il se passait puis changea d'avis lorsqu'il les leva vers ses empêcheurs de dormir dans le caniveau. Le mot sortit tout seul et suffit à décrire sa stupeur :

« -Ma... Marie ?

-Quoi ? T'aurais pu me dire que tu connaissais ce pochtron !

-Hein ? Mais non... On se connaît ?

Luis, encore ému par les papillons, put surpasser la situation et évita de dire une énorme et désastreuse bêtise :

-Non, non... on se connaît pas. J'ai confondu...

-Ben alors ! Quel hasard : je m'appelle aussi Marie !

-T'as un clone, Marie ? Étonnant...

-Arrête, tu sais bien que je suis unique... et toi, tu t'appelles comment ?

-Luis. Dit-il en se levant difficilement.

-Ok, Luis. Lui c'est Fred, mon grand frère.

-Yo ! se présenta Fred.

-Et ça t'arrive souvent, Luis ?

-Souvent quoi ?

-Ben de dormir comme ça, ça t'arrive souvent ?

-Non... quand je vais pas bien... ouais, en fait souvent. Tout le temps.

-L'alcool c'est pas la solution.

Non, la solution c'était elle. Nous aurions pu dire qu'elle était devant ses yeux mais il n'arrivait toujours pas à la regarder. Quelle solution !

-Tu veux qu'on te ramène chez toi ?

Cette fois ci ce n'est plus la situation qu'il surpassa mais lui même :

-Non merci... J'habite loin, je vais dormir sous un arbre et je ferai du pouce demain...

-Sous un arbre ? Mais tu vas tu faire dépouiller ! S'exclama Fred qui ne lui apprit rien.

-Il a raison... au pire tu peux dormir à la maison, on te ramènera demain.

-Ah bon ? C'est vrai ? Vous êtes sympas, comme gens !

-Tu sais, on aide souvent les mecs qu'on trouve à moitié mort... expliqua Marie »

Luis redescendit sur terre. Pendant un temps il croyait qu'ils l'aidaient parce qu'il avait l'air intéressant, mais non : il n'était qu'à moitié crevé. Là où il avait cru voir un début d'amitié il n'y avait que charité et amour de soi. Depuis toujours le monde est bienveillant envers l'ivrogne du village, comme envers le débile ; ces âmes perdues qui permettent aux autres de penser qu'elles ne le sont pas. Il en fut presque dégoûté.

 

Ils arrivèrent chez Marie, appartement de la fenêtre duquel Luis apercevait son perron. Ils s'installèrent dans le salon. Elle proposa du thé. Luis en était friand, Fred préféra du Coca. Ils burent en papotant. Ses hôtes revenaient de boîte, Fred s'était battu contre un dragueur trop pressant. Il était surtout là pour ça, Fred : depuis l'enfance elle était belle et lui était musclé. Et c'était une chasse involontaire et perpétuelle, l'une appâtait quand l'autre envoyait aux urgences...

Luis se pris de pitié pour Marie, celle qui le fascinait, qu'il pensait mangeuse d'hommes, risquait finalement plus d'être mangée. Lui vinrent à l'esprit deux interrogations auxquelles seul il trouvait moins de solution qu'à l'énigme de la création : Était-elle déjà sortie avec quelqu'un, puisqu'un garde du corps l'escortait à chaque escapade? pourquoi était-elle miss ?

 

Ils les posa mais n'eut qu'une seule réponse, car la deuxième ne fit qu'engendrer une autre question. Si elle avait eu quelques aventures Luis était censé ignorer qui elle était, miss ou Marie. La bêtise s'échappa, succédée par un silence et des regards devenus méfiants. Ils lui demandèrent comment il savait ça. Luis, cette nuit là peu avare en surpassements, tentant la plus grosse mise :

« -Quoi ! Ne me dis pas que t'es vraiment miss ? Je disais ça pour rire, c'était un compliment... me regardez pas comme ça ! Qu'est-ce que j'en savais ? »

Il était inconscient de ce qui lui arrivait, d'où ces saillies mensongères pouvaient-elles lui provenir ? Mentir, pour qui sait écrire un éloge, est chose extrêmement aisée. On a jamais vu d'yeux semblables à un envol d'oiseaux blancs sur l'eau claire d'un lac ; ça n'existe pas, il faut mentir en art. Mais mentir juste. Non, vraiment, ce n'est pas l'aspect mensonger qui surprenait mais la fin d'un mutisme. Un autre Luis était né de son rêve. C'était la fin de ce qui vole. Sa pensée avait longtemps volé jusqu'à Marie sans jamais ne serait-ce que la frôler. Désormais l'espace entre eux était trop étroit ; il était démuni de l'éther clos à double-tour qui nimbe le poète et le condamne à ne toucher du doigt que pour garder en mémoire la sensation, à ne jamais posséder que par le vers, à n'être aimé que par soi-même. Les mots ne volaient plus ; ils touchaient le sol et ne se fiaient qu'au pas qui suit. Lui, fantôme fuyard, il joutait. Comme si cette fois il ne devait pas perdre face à la chance, c'était la dernière : il perdait, il perdait le monde. Son jeu était parfait. Si gros, si incohérent : ils y crurent. Fred lui dit de faire gaffe à pas trop la draguer et Marie s'esclaffa :

« -Décidément ! T'es un genre de devin !

-Le hasard... rien que le hasard... c'est dingue, non ? Reprit-il. Fred rajouta :

-Mais je suis d'accord avec toi, Luis ; si elle devient miss France tous les connards vont vouloir lui sauter dessus. Je les attends mais quand même : toute la France...

-Ça ferait beaucoup, je te l'accorde ! Et t'as pas réussi à lui faire changer d'avis ? Rien qu'en parlant de Sylvie Tessier ?

-Oh, vos gueules... puis paraît qu'elle est cool, cette meuf. Non mais je veux pas forcément être miss France... disons que c'est pour qu'on se souvienne de moi !

-Qui pourrait t'oublier ?

-Luis... menaça Fred."

Il l'avait draguée, il voulut s'excuser puis repensa qu'il lui fallait mettre sa vie en jeu, plutôt que de mourir en perdant Marie. Alors, réminiscence d'une ancienne vie, il sermonna Fred comme quoi dire au Beau qu'il est beau ce n'est pas l'apanage des machistes, qu'il est des choses dont un détail semble sur le moment valoir plus que la vie, qu''importe de la façon d'exprimer cette  mort douce et éphémère. Il ne faisait en fait que décrire ce qu'il ressentait, cet intellectualisme n'était qu'un cri du cœur. Il fit des périphrases comme on dit qu'on a mal.

 

-T'es un artiste ?  Demanda innocemment Marie. 

Avant Luis refusait obstinément de répondre à cette question par l'affirmative; il estimait qu'un vrai artiste devait répondre : Qu'est-ce que l'Art ? Pour finir par ne pas répondre. Il pensait que l'Art, seule allégorie capable de tutoyer la Nature, était trop immense pour l'homme. Cette créature n'était artiste qu'en pratiquant ; un peintre ayant quitté le chevalet n'étant plus peintre. Seule une œuvre pouvait dire ouvertement : Oui, je suis un artiste. Rien d'autre.

Mais le temps de ce qui vole était résolu :

-Oui ; on peut dire ça. Ce complément n'était qu'un reste bientôt anéanti de ce qu'il était encore la veille. Une nuance trop facile au goût de l'homme passé, largement suffisante à celui de l'homme présent.

-Et tu fais quoi, de la musique ? S'intéressa Fred.

Car il ne reste que ça : Le cinéma ? Mais il faut être célèbre, sinon on ne fait pas de cinéma ! On galère, et galérer c'est un art à la portée de tous. L'architecture ? Un art ? Mais un architecte n'est qu'un cadre dans l'immobilier, voyons ! La danse ? Et pour danser où ? La bande dessinée ? Autant n'être que hippie, il est moins long d'apprendre à rouler des joints que d'apprendre à dessiner ! La peinture ? De la peinture ? Vraiment ? Portraits ou caricatures ? La sculpture ? Ça prend de la place, ça, non ? Donc de la musique. Et quoi ? De la guitare, bien sûr ! On ne voit que ça, plein les rues ! Mais lui pratiquait l'art le plus étrange, le plus arriéré, le plus lourd de sens, lourd d'un sens perdu comme le sont tous les arts. Le plus lourd de sens car le plus ridicule :

-De la poésie.

Celui qui dans la bouche de Marie souleva un :

-Ah, pourquoi ?

Le nouveau Luis trouva une réponse à cette question à la suite de laquelle l'ancien n'aurait pu ouvrir la bouche. Parce que l'ancien savait l'indicible vérité : on ne fait pas de la poésie, la poésie est là ; on la prend ou on la laisse. Ceux qui l'apprivoisent sont appelés poètes, ceux qui la refusent sont appelés barbares. Nul ne la produit. Ne disons-nous pas "composer" en matière d'art ? Ainsi que le fleuriste sur lequel ne pousse aucune fleur le poète rassemble la poésie du monde et tente de l'accorder.

Dire ceci aurait pu paraître raisonnable et complexe mais il ne se souciait que d'efficacité.

-Pour qu'on se souvienne de moi. Imita-t-il.

Marie, ou Fred, ou les deux en même temps, allaient répéter un « pourquoi? » quand ils firent la connexion entre les répliques similaires. Ils comparèrent brièvement l'état de miss et celui de poète et convinrent qu'il ne fallait pas la ramener. Tout comme il tressaillait un peu du Luis timide et intello dans le nouveau Luis un peu de la grandeur des arts subsistaient au fond des êtres les plus futiles ; faire de la poésie restait moins ridicule que de se dandiner en monokini sur un podium. Mais tout cette faible grâce allait aussi vers le néant, et l'ironie macabre du sort fit qu'à force de délaisser ses principes Luis y participa en ardent fossoyeur. On le questionnait sur la poésie, il le désirait depuis toujours, mais il ne fit que la remballer. Elle lui fit un beau sourire empathique, elle comprenait son besoin de reconnaissance falsifié. Ou exagéré ; il voulait qu'elle se souvienne de lui, après ; tout pouvait exploser.

 

Puis ils ne reparlèrent ni de miss, ni de poésie, gênés d'être ce qu'ils étaient par rapport à l'autre. Fred jouait dans une équipe amateur, et, oui : il était footballer. Ce qui est estimable, voire grand. Et Luis, dépossédé de son esprit d'analyse, admira les exploits sans intérêt de Fred qui parlait de ses matchs -à chaque époque ses mystifications et ses héros- comme en des temps sanglants on parlait de batailles. Puis ils allèrent se coucher.

 

Luis fut très loin de s'endormir directement... Il réfléchit. Il pensa que ce rêve n'était pas une mort mais une révélation. Il pensa qu'il avait fait le nécessaire, assez songé ; l'heure était au réel, apparu comme une récompense. Les papillons l'ont empêché de voir le sol que pour le rendre plus appréciable, il devait être prêt. Il se sentait prêt. Mais que penser des larmes ? Elles furent suspendues parmi les mystères car Marie revint au salon où il était couché. Puis elle s'assit  normalement sur le canapé, contre ses genoux. Il ne comprit pas ; le peu qu'il comprit confirma son idée précédente : il avait bien accumulé assez de points fantasme et tout allait lui tomber dans la main ; les fruits et les femmes. Il sourit dans le noir. Elle, exposée à une lueur dont on ne distinguait pas la provenance, dévoilait quelques frisettes ombrageant le galbe de sa tempes et de ses pommettes... Luis avait enregistré ce qui ne se laissait voir : une peau luisante, légèrement mate qui ne souffrait d'aucune imperfection, des lèvres de diablesse trônant sur un petit menton rehaussé, et sous son front ses yeux -qu'il n'osait imaginer. Tout en traçant intérieurement ce portrait il lui demanda s'il pouvait la renseigner.

« -Oui, tu peux... tu sais quand on t'a ramassé...

-Ramassé ? C'est pas top mais c'est vrai, j'ai été ramassé... je t'en remercie encore.

-T'inquiètes pas, c'est normal. Surtout que...

Il n'arrêtait pas de sourire, il se voyait déjà l'embrasser. Ça le terrifia, il remonta sa couette jusqu'aux lèvres. C'était son premier doute, soudain il en eut honte et se jura de ne plus agir comme il agissait quand il échouait. Alors il se dressa, projeta de s'approcher quand Marie dit :

-Pourquoi tu pleurais ? Luis fit mine de rien et reprit assez de constance pour lâcher un :

-Je pleurais de ne pas t'avoir connue. C'était dit automatiquement, on aurait pu lui demander combien font 4 fois 5 il aurait répondu vingt sur le même ton. Ce n'était ni poétique ni romantique, juste automatique. Poète, il en aurait été incapable.

-On sent que t'es un poète, toi... dit-elle avec un air de collègienne à son premier rendez-vous.

-T'as vu. Répondit-il avec un air de collègien à son premier rendez-vous.

-Et tous les poètes pleurent en dormant ?

-Peut-être... peut-être qu'on pleure tous en dormant.

-C'est con ce que tu dis ; quand quelqu'un ronfle on s'en rend compte !

-Et bien moi je ronfle pas je pleure ! C'est moins bruyant.

-Mouais... tu veux vraiment pas me dire.

-Je ne sais pas. Affirma-t-il, résigné.

-T'as peut-être fait un cauchemar...

-Je ne sais pas. Je me souviens de rien. C'est pour me demander ça que t'es venue ?

-Ben... ouais.

-Ça t'intrigue ?

-Pas mal... c'est la première fois que je vois ça. Mais bon... Si tu veux y garder pour toi ça me dérange pas ! Après tout on se connaît à peine. Répondit-elle en repartant.

Luis dut en convenir... peut-être n'allait-il plus pouvoir lui reparler quand il quittera cet appartement, à moins de réapparaître comme un mauvais souvenir. Il proposa donc, en transe guerrière :

-Ça nous empêcherait de s'embrasser, d'après toi ?

Il vit son dos sursauter, puis elle rigola doucement ; qu'est-ce que c'était que ce dingue ? Voilà ce qui était tu, mais lisible. Quant à ce qu'elle dit :

-Un peu quand même ! Puis tu crois que je trouve mes mecs dans des caniveaux ?

Ce qu'elle dit était pire que ce qu'elle pensait. Plus cynique encore. Luis, estomaqué, garda le silence. Il voulut la frapper, la frapper pour la punir de ne rien voir, d'être aveugle à son amour qu'il considérait comme le plus grand et le plus pur qu'on puisse lui donner. Puis il voulut se frapper, se frapper et se pendre pour s'être trompé, ni sur elle, ni sur lui, mais sur eux. Rien pour les individus, tout pour le rapport ; de la haine, de la déception, de la rancœur etc. : un vertige de mauvais sentiments qui lui ôta le sommeil du départ de Marie jusqu'à son retour.

 

« -Hello, Luis... bien dormi ? Elle se dirigea vers la cafetière. M'en veux pas trop pour hier ; c'était un peu soudain... t'avais bu, alors je me suis dit...

Et il tenta de sauver la face.

-Non mais t'as eu raison. J'ai déconné, je m'excuse...

-Ça va ; j'ai vu pire !

Garder la conversation lui parut essentiel...

-Ah oui ? Genre quoi ? Un graffiti : « je t'aime mais pas l'orthographe apparemment » ?

-Ça ? Ah oui, j'ai déjà eu... mais c'est pas le pire ! Loin de là ! Le pire c'est un mec qui a ouvert un site sur moi, sans ma permission ! Photos volées et tout hein... attention ! Un vrai malade !

Luis hésita, interpellé par quelque chose; le sourire d'un ami qui passait furtivement dans sa mémoire... Cette nouvelle le rassura, mais il vérifia :

-Du coup je suis plutôt bien placé, dans la liste des re-lou ?

-Oui... Et puis pour tout te dire c'était plutôt réussi.

Il se rappela : en amour il faut se battre. Loin d'avoir vaincu comme il pensait l'avoir fait il avait tout de même porté un coup.

 

Fred arriva plus tard, ils déjeunèrent sans trop parler et soudain, ayant, fini son café, Luis les salua et se dirigea vers la porte de sortie.

«-Mais attends, on devait pas te raccompagner ? S'étonna Fred. Marie exprima ainsi sa miséricorde :

-En plus il pleut... non, Fred va te ramener.»

Luis ne sut refuser, ils montèrent dans la voiture. Le hall de son immeuble s'éloignait tandis qu'il inventait des directions au hasard. Pris au piège il devait le guider assez loin pour faire croire qu'il habitait loin. Ils allèrent donc loin. Devant une maison, dans un village inconnu de Luis jusqu'à ce jour il décida de descendre. Fred le quitta en lui confirmant qu'il habitait loin.

Loin.

Au petit jour, perdu au milieu de nulle part, Luis reconsidéra l'utilité des mensonges. Il paraissait que le plus insignifiant pouvait mener loin mais de là à s'imaginer le sens propre d'une telle expression ! Certes sa vie avait changé, il avait passé la nuit chez Marie ; désormais l'ancienne logique n'avait plus cours. Malgré ce bouleversement un panneau affichant 50 kilomètres entre le village où il avait atterri jusqu'à sa ville le fit reculer d'un pas à la frontière du nouveau monde.

En moins de vingt quatre heures de métamorphose il comprit ce qu'il avait gagné et ce qu'il risquait, la preuve fut par le fait accompli. Il était à pied, il pleuvait toujours. Pas une voiture à l'horizon. Qu'une route munie d'un chien en train de pisser. Puis plus de chien : que des kilomètres. Et la fatigue.

Marie.

 

 

 

 


 

 


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