Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 23:55

Les métempsychoses d'Adélaïde.

 

I

 

Ma femme, Adélaïde, est un regard tombé

Sur mon regard, un jour, comme un flocon d'été.

C'est un sanglot des dieux qu'une averse partage

Et qui se meurt en flaque, entrebâillant l'image

D'un amour échappé de la couche au matin.

Elle c'est une danse, en hiver, un patin

A glace soulevé quand l'autre touche terre.

Sur le lac gelé c'est un cygne solitaire

Jouant la ballerine, un étrange animal...

 

C'est aussi le remord en seigneur, triomphal,

Qui, m'ayant écrasé le front, ose un sourire.

Dans mon simple univers c'est le plus vaste empire,

La plus méchante armée et le plus cher tribut.

 

C'est l'orgueil de mes vers et le vin que j'ai bu.

 

Adélaïde est belle... Au soleil elle allume

Un sourire éclatant, aveuglant, elle fume

De la poudre lunaire et du tabac cubain,

Inspirant longuement tout en prenant son bain

Les volutes nacrées, bleutées, hallucinantes...

 

Elle c'est la fumeuse aux bouffées lancinantes.

 

En parlant d'elle on peut dire que les saisons

Sont fruits de cette femme à la double toison :

L'une a des fleurs d'Avril pour mèches et la frange

Rousse s'effondre sur les yeux ; l'autre mélange

Aux blancheurs de la neige une tresse de blé.

 

Adélaïde, lasse en ce siècle troublé,

Repense au littoral où la vertu des ailes

Offrait aux mouettes cyans le ciel, les éternelles

Régions désertées par les anges sans nom.

 

C'est la poudre de guerre et le coup de canon.

 

C'est la cadette aux airs vagues de belle mère.

 

C'est le brasier d'où nait un phénix éphémère

Et la cage de verre, et l'ailleurs infini.

 

C'est le divin enfant nu que nul ne bénit.

 

J'ai marqué de suçons noirs sa gorge de nymphe,

C'était un doux soir de champagne, d'œufs de lymphe,

Un soir de bains à remous, de cœurs dévêtus,

De baisers méprisés et de baisers rendus,

Un soir ivre du sang mêlé de nos deux bouches ;

Elle, reine de France, et moi, seigneur des mouches.

 

II


 

Ma flamme, Adélaïde, est un tigre docile

Caressant les genoux, dormant au domicile

Du dernier maharadjah, c'est le plus grand félin

D'Inde et de Sibérie, et le plus féminin.

 

Mais c'est aussi l'émoi fidèle au pied des tombes :

« Je suis debout, ma soeur. Fallait-il que tu tombes ? »

C'est l'atroce question des jeunes éplorés

Voyant soudainement, dans leurs doux nids dorés,

D'un œuf noir et parfait éclore la faucheuse

Aimant décapiter chaque parole heureuse

Et faire d'un espoir un cadavre, un tourment.

 

Adélaïde c'est un sourire qui ment,

Lumineux par le gloss et sombre par l'idée.

 

C'est la gène sublime de la veuve aimée.

 

Trônant sur un briquet, c'est le feu sous le joint

Par où vient le délire, invoqué de si loin.

Voire : ma flamme c'est une conquête alpine

Sous les neiges perdues, d'un roi sous cocaïne.

 

Elle est mère de l'ombre où pensent les démons

Sculptés autrefois par Rodin ; poings et mentons

Liés. Au crépuscule ils rentrent dans ma chambre

Et balaient d'un regard vert -d'émeraude et d'ambre-

Cet antre dévasté dont je suis président.

 

Adélaïde c'est le retour évident

Du tout premier amour. C'est son départ à l'aube.

 

Aux célestes jardins c'est un fruit d'or qui daube.

 

J'ai brulé ma main gauche avec son corps, ce corps

Voluptueux, rêvé des braves et des forts.

Moi; faible, j'ai touché ses pieds de cire blanche

Et suis mort calciné, voulant baiser sa hanche.

 

 

III

 

 

Ma lame, Adélaïde, est un pépin d'orange

Venu de Marrakech intime, d'une grange

Dont émane le goût des desserts orientaux.

Pour le fakir gourmand c'est dix mille couteaux.

 

C'est, dans le vent violent, la tour inébranlable ;

Lorsque Babel n'est plus rien qu'une ombre de sable

Elle reste et côtoie, en secret, les oiseaux,

La très haute magie et les sombres réseaux.

 

C'est un soupir d'ennui lors d'un beau soir de fête,

Un regard dans le vide, un hochement de tête

Qui signifient : « Je meurs... Tout meurt... et nous mourons... »

 

C'est l'œil noir maquillé des sphinx, des pharaons,

Celui des mannequins et des belles gothiques.

C'est l'œil glauque et malsain des hyènes névrotiques.

C'est l'œil qui cligne et dit : « Dans la ruelle, allons ! »

C'est l'œil émerveillé dès l'envol des ballons ;

Ma lame c'est l'œil doux surchargé de détresse.

 

C'est le chantage aimant d'une ancienne maitresse

Un peu folle et qui veut, pour vivre, de l'amour,

Des soirs de poésie aussi clairs que le jour ;

A la lune luisante, un baiser et des roses.

 

C'est un guerrier qui tue en sanglotant, sans causes

Ni justice à défendre, c'est un grand rônin

Dont parle la légende, à qui manque une main.

 

Adélaïde vit, sainte décapitée,

(Néanmoins magnifique : une peau duvetée

Par une soie orange et d'or sous le soleil

Tandis que de son cou jaillit le flot vermeil)

Au bord de l'océan, elle se baigne et sèche

Ses cheveux dans le vent, lourd des embruns de seiches.

Elle cueille des coraux bleus, fait un bouquet

Qu'elle offre à l'inconnu rêveur au bord du quai.

C'est la nageuse morte entrevue à l'aurore.

 

Et je m'y suis coupé, maintes fois, je l'adore

Autant que je la crains, je ne peux que plier ;

Juste un mot de sa part et je suis meurtrier,

Un mot, dit bouche mi-close, et je dilapide

Le restant de mes jours en serf d'Adélaïde.

 

IV

 

  Ma fleur, Adélaïde est simple : un bouton d'or,

Une marguerite, un crocus noir... Quelle mort

M'attend si je la cueille ? Est-elle une colchique,

Lit mauve du suicide noble et bucolique ?

Adélaïde c'est le bon goût du poison.

 

C'est la fugue sans fin, ni but et la maison.

 

C'est les plus douces mains tenues, en promenade,

Que n'alourdissent ni la crème, la pommade

Ni le vernis. Légères ; aucun bracelet

N'alterne leur nature... Un diamant serait laid

Sur un joyau de chair fondu par Dieu même !

 

 

C'est la Grèce : Ionie en marche, les trirèmes

Battant la mer Egée et les blancs Parthénon.

 

Que dis-je c'est l'Asie, et le Tao, le ton

Juste et la voix du sage à genoux sous les feuilles,

Le recueil de haïkus, les geishas qui l'effeuillent.

 

Adélaïde c'est l'Afrique, où je suis né,

Les griots d'autrefois et le peuple nié,

Les pleurs de l'océan, la Langue prise aux tripes.

 

Comme un banc de vieillards qui parlent dans leurs pipes

Au déclin de leur âge et gorgés de leçons

C'est l'Europe : un palais de bois, des charançons.

 

Voyez-vous l'Amérique en elle ; les étoiles

Terriennes brillant sur la fadeur des toiles,

Et que l'on voit de loin, étant mortes jadis ?

 

Adélaïde c'est un viol au paradis ;

C'est le désir ardent que l'on peut éteindre

A moins de se tirer une balle, ou d'étreindre.

 

L'étreindre ? Adélaïde ? Elle ? C'est mon souhait.

Ma poupée aux cheveux bien vivants, mon jouet,

Je veux la serrer fort et lui dire : « Je t'aime...

Je t'aime... Que tu sois femme ou flamme ou dilemme,

Epée ou fleur ! Je t'aime, Adélaïde, viens,

Je connais des pays de Cocagne, aériens,

Et des chansons d'amour et de haine semblables.

Je sais des vers muets, des jeux invraisemblables,

J'ai nagé dans la mer de la Tranquillité

Et je t'aime, chérie, et c'est la vérité. »

 

Adélaïde c'est un regard sur le mien

Tombé comme un flocon d'été... C'est mon seul bien.

 

 


 

Partager cet article
Repost0