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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 03:59
Trois jours dans le désert :
Jour trois.

morbid tomatoes by kirbyrevo

Ah! Ca brûle! Mais de quoi je rêvais? Chaque fois, je me réveille au retour d’un grand voyage dont le décor doit exclure le sable et la pierre. J’ai dû rêver d’un monde de bois, d’eau, d’horizons biscornues, de boussoles obligatoires, de festins scandaleux et de salade à volonté. Un monde de tomates. Un monde où le pommier, la glycine, le sapin, la ronce, le chêne et le rhododendron pousseraient de grosses tomates rouges, de celles qui ont la forme du coeur comme on le dessine. Un monde de saisons dont l’hiver laisserait pendre aux arbres nus leurs fruits mûrs à jamais. On viendrait en marchant dans la neige, ou en ski, cueillir une tomate et manger un coeur... Que ce monde devait être doux.



  Je me lève et m’étire. Le rituel peut commencer. Je le commence. Et je ne le finis pas. Les traces... Entre la table et le lit... Les traces sont là. Peu estompées, se tromper serait se mentir. Ne pas les voir... Trop tard. Je peux fermer les yeux, elles sont là. Avec le dessin sous la semelle, la courbe, le renfoncement... Les traces de chaussures sont là. Que faire? Est-ce que je dois les approcher? Tout vérifier? Pour être sûr. Est-ce que je dois être sûr? Je vais les observer un moment. Je m’assois en m’en éloignant un peu d‘elles.
Si ce sont des empreintes à qui sont-elles? Homme? Femme? Tueur fou? Sauveteur? Habitant du désert? Enfant? Si ce sont des empreintes que font-elles là? Pourquoi ont-elles attendu trois ans pour venir se déposer? Pourquoi, à quelques jours près, trois ans? Pourquoi pas deux ou quatre? Si ce sont des empreintes qu'adviendra-t-il de moi?
Qu'adviendra-t-il de moi? Oui ; ce sont des empreintes.

                                            footprint in the sand by Axyk

  J'ai peur. Je ne m'y attendais pas. Je m'y attendais moins que la tempête qui me tombe sur la gueule. Grands vents, souffle de feu, lacérations, assourdissement, torture sans issue : Tout arrive d'un coup. Je suis une tortue dans mes vêtements, plus rien ne dépasse ; je deviens comme un de ces sensationnels hommes troncs mais, la tête enfoncé sous le col, je suis un peu plus rare. J'ai rentré mes pieds car mes baskets se sont retrouvées sandales, rien ne doit dépasser. Mais mes vêtements disloqués laissent de la chair libre et fraîche pour la tempête, et ma chemise, dont j'ai mangé la manche, expose mon épaule au fouet du désert. Le châtiment est millimétré : Chaque petit bout de peau est criblé de sable, il arrive si vite que je ne le sens pas rebondir mais s'enfoncer, et les grains ne fusent pas que de face! Il en vient de tout les côtés, ils me frôlent en griffant une multitude de traits rouges. Ca brûle, ça ne s'arrête jamais! Et chaque plaie se confirme car ils la fouettent encore! Et encore! Et ça rougis, ça mord, ça griffe, ça détecte les cellules épidermiques et ça les détruit! Je n'entend qu'un grondement, je ne vois que mes paupières et je ne sens que la douleur. Et autre chose.
Non. Ce n'est pas possible, vraiment. Qu'ai-je sentis? C'était étrange... J'ai sentis... une main. Une impossible main. Contre mes côtes, au dessus de mon crâne et ça s'est arrêté. Je peux encore tergiverser, à savoir si c'est une main d'homme ou de coyote mais je suis comme pressé par la souffrance ; je dois me concentrer pour la diminuer, j'ai peu de temps donc j'en viens au fait. Et à la marche à suivre : C'est une tempête de sable que je subis, quoiqu'il arrive, même ça, je ne dois en aucun cas bouger.
Il faut que je le crie, c’est aujourd’hui ; le moment qui décidera si je suis fou. Quand-je l’aurai crié il me faudra une réponse sinon c’est la solitude qui m’aura vaincue. Si je le crie plus rien ne sera comme avant, j’aurais passé le cap des névroses du disparu. Mais je ne peux pas bouger ; je dois le crier :

« Il y a quelqu‘un? ».
 
J’attend... pas de réponse.

La tempête s’arrête. Elle a bien sût masquer mes sanglots. Je suis seul malgré la main, aujourd’hui encore il n’y a que moi dans ce foutu désert. Que moi à l’horizon! Que moi, partout! Que moi nulle part. Et personne d’autre... Personne. Que moi, et c’est triste. Aucunement le vent ne souffle d‘une... Mais qu’est-ce que c’est? Tout le sable envolé s’est reposé à terre ; l’insupportable rideau s’est levé pour l’insupportable scène : Ca gît à un mètre de moi, couché sur le flanc, lacéré par la tempête, la chair rose et rouge et le reste habillé ; ça a l’air épuisé. Ca a même l’air mort. C’est réel? Je n’ose pas y toucher, je ferai mieux de me cacher, ça simule peut-être. Si c’est le cas ça réussit sa simulation.
C’est réel, le sable est tâché par son sang.
Trois ans... Je ne suis pas fou. C’est arrivé. Je ne suis ni fou ni seul.

                                             not_a_poet_by_tiny_vertebrae.jpg

   Ca ne bouge toujours pas... C’est vraiment mort? Comment le savoir? Je jette un caillou, sur la joue. Bien visé. Pas de mouvement, ni de paupières ni de bras. J’y vais.
J’y file un coup, dans l’estomac, pas très fort. Pas de réaction. Je m’accroupis vers son visage. Ses longs cheveux sont étalés, ses yeux sont clos, de leur coins intérieurs s’entame une coulée noire qui se termine sur les pommettes. Ce sont des larmes qui ont perdu le charme de l’éphémère. Ca a tenter de les effacer, en vain ; ça les a étalé. Et c’est moche. Avec la bouche mi-close, les lèvres décomposées par le soleil, ça pèle du front, du nez, de la mâchoire, ça mue! Une nouvelle peau pour se débarrasser de ce vilain mascara, avant de mourir. Parce que c’est mort.

                                             
 
Je reste là, à l’observer. Un cadavre, trois années sans attendre quoique ce soit et voilà ce que l‘on m‘envoie. Trois années à admettre que la sable aurait raison de moi en complicité avec l’ignorance universelle. Je n’étais pas perdu, j’étais abandonné ; trois années pour faire ce constat et vivre avec. Abandonné par les hommes là où ils ne sont pas. Strictement abandonné. Je m’y suis fait, mes coups d’oeil au lointain pour m’en persuader. Et voilà qu’une bonne femme vient me tapoter dans la tempête et mourir à  mes pieds!
Qu’en faire? Lui donner un nom. Me vient Sandy. Sandy... Non, plus subtil... Amanda... Lois. Lois c’est pas mal. Enchanté Lois! Ca sonne bien.
« -Enchanté Lois, moi c’est Stuart! Je la secoue.
-Ravie de faire votre connaissance Stu... Je dois ajuster le timbre, on dirait une folle :
-Ravie de faire votre connaissance Stuart! » C’est mieux .
Qui est Lois? Dans cette poche peut-être... Non, alors celle là... Celle là non plus... Cachottière, va! Ca doit être là, oui. Alors ; portefeuille banal, deux cartes bancaires, beaucoup d’argent en liquide, vantarde! sa carte d’identité... Ah, oui. Elle a déjà un nom : Lexus.  Lexus...  Je vais t’appeler Lois, hein , ça te va mieux! Lois Lexus Alligan, née le dix-sept août 1985 à Washington D.C. Qu’est-ce qu’elle vient faire là?  Oh oui ; j’oubliais :
« -Et qu’est ce que vous venez faire par ici?
-J’étais en voyage de noces, le car a fait une pause et ils m’ont oublié. J’ai cherché une habitation et je me suis fait prendre dans la tempête, c’était horrible! Heureusement que vous êtes là!
-Ah, ça c’est sûr, le désert ça pardonne pas... Enfin vous en savez quelque chose, hein? » Nous rions ensemble, elle a le sens de l’humour.
«-Et vous, depuis quand êtes vous là?
- Oh, ça fait une éternité... trois ans d’éternité. Je ne sais même plus de quelle maniêre j’ai atterri ici... Mais parlons de vous, puisque nous sommes coincés ici j’aimerais mieux vous connaître. Et puis je n’ai pas grand chose à raconter. Vous étiez en voyage de noces, quel dommage... C’était le bon, j’espère?
-Oui, c’est dommage... Jeff, mon mari, est quelqu’un d’exceptionnel... Il a sauvé un enfant d’un incendie, vous savez?
-Incroyable! Votre mari est pompier?
-Même pas! C’est ça le plus fou! Non, vraiment, c’est un homme courageux. Il n’a; comme moi, pas obtenu le permis de conduire mais mon Jeff est un héros. Pas comme Ed, mon ancien mari... Vous savez qu’il refuse de me verser ma pension? Même les enfants ne veulent plus le voir, c’est un pochtron. Je ne sais même pas quel mal m’a pris à vouloir l’épouser, ma ...
-Stop! »
Décidément cette Lois m’exaspère. J’ai beau faire dans le détail, elle ne m’est pas réelle. C’est toujours moi qui parle. Lois n’existe pas. Je suis seul avec un cadavre. Je me force à croire le contraire, Lois! Lois! Je suis là ; et toi? Et toi? Silence. Rien n’y fait : Il faut que j’ouvre la bouche pour qu’elle parle. C’est un cadavre, pas Lois.
Que je lui invente toutes les vies imaginables, tous les souvenirs et tous les espoirs inscriptibles dans un destin ne changera pas le fait que je n’ai pas pu la sauver et que j’ignore tout de Lexus Alligan. Je suis incapable d’être sauvé, incapable de sauver... Lexus... Je suis désolé. Qu’est-ce que j’ai fais?  Je n’ai pas sû te rassurer cette nuit en te disant que je n’étais pas dangereux,  je ne t’ai pas pris dans mes bras quand tu m’as averti dans la tempête avant de t’écrouler et j’ai saisi ton corps inerte et parler à ta place. Je suis désolé... Tu es venue pour moi et je t’ai méprisé. Tu es la seule a être venue, je ne peux pas te laisser partir seule...

                                              Desert_by_handsinpantsdance-copie-1.jpg
 
Le soleil retourne lentement brûler le cuir de ceux des antipodes, le ciel rougit et le scintillement des grains de sable dépose sur les dunes un voile de lumières irisées, j’ai passé beaucoup de temps à nettoyer Lexus ; la nuit ne tardera pas. Je vais à ma pierre à ombre et raie un nouveau jour, avec de petits traits perpendiculaires aux extrémités dans le sens du temps passé. Je recompte : mille quatre-vingt dix-huit traits dont un plus long tous les trois cent soixante cinq.

Je vais à mon bureau, je contemple mon chantier, je n’aurais pas pu finir... Il manque encore beaucoup de détails et la pierre n’est pas lissée mais, même de près, ça ressemble à une tomate. C’est plutôt une réussite que cette sculpture! Pour la sueur qu’elle m’aura coûté...
Quant au coyote et à son embryon ils seront entièrement aux vers. Ce soir je quitte le sable. Je m’en vais et je laisse à l’humanité un vide préexistant. Je laisse ma place qui depuis longtemps est prise, je laisse mon nom sur mon oeuvre inconnue et impossible à connaître, je laisse ma silhouette aux mémoires des chacals et j’offre à l’érosion ma bien-aimée demeure, adieu désert! Vieux camarade! Bizuteur acharné! Tu as maîtrisé chacun de mes instants, maudis chacun de mes pas, piégé chacune de mes nuits et vaporisé chacun de mes pleurs mais tu ne m’as pas tué, finalement. Finalement j’aurais été sauvé, quelqu’un est venu me chercher. Et je coopère.
Je suis debout à côté de Lexus, ma pierre-arme à la main ; je lève le bras et frappe de toutes mes forces.

  Si ça fait mal? Je ne sais pas. Je ne sais pas non plus si ça fait du bien... C’est juste définitif. C’est juste le bout du désert.

                                 Alone 2





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