Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 mai 2014 3 21 /05 /mai /2014 20:53

 

Nous boîtons, bric-à-brac qu’acheminent les vents,

Dépareillés, bourgeois privés de têtes creuses,

Viandes plus avachies que Dieu sur nos divans

De clous roux pudibonds, de lames chaleureuses.

 

Tâtonnons ! c’est le sort acéré qui le veut !

Lui qui brûle et qui noie entièrement nos vies,

Sans même le vouloir ou l’aimer ; c’est l’aveu

De la sainte au prétoire et deux voies qui dévient.

 

Mais la marche qui ploie en dessous du soleil

Saura joindre à tâtons, qui s’enivre de plantes,

On ne sait quel îlot sur l’océan pareil

A la guerre infinie aux morts calmes et lentes.

 

Un élan de toujours qui mène à l’inconnu

Nous étreint mais nous brise un semblant de rotules

Chancelant... Saigna-t-on pour un serment tenu

A d’autres ? ou pour l’or ? pour le reflet des bulles ?

 

Car l’intense tendresse nous l’ignorons tant ;

Tant que c’est un mensonge inventé par les anges…

Un Narcisse amputé qu’hypnotise un étang

Dans lequel eau de pluie et bave se mélangent

 

Pèle et dit notre nom sans commettre d’erreur.

Ainsi notre chemin, ainsi donc le voyage

De la tribu du rêve aveugle et de la peur

S’achève sous les yeux -peut-être- d’un visage.

 

En des régions bâclées par la main des puissants

Nous mimons quelque idiot qui s’anime et nous mime…

L’invincible chagrin rit avec les accents

De l’enfant titanesque et du vieillard infime.

 

C’en est trop ! Si ma tâche, génétiquement,

Et de m’agenouiller au bord des flots, la brume

A travers un regard obnubilé, dément,

Puant tous les vœux pieux charmés par l’amertume ;

 

Alors non ! Gosse en pleurs, qui gueule, intransigeant,

Dans des contrées de sel où la Mort bien vêtue

S’essaie à la peinture, aux poèmes, au chant,

Je refuse… Un écho de plainte continue

 

Vibre dans ce passant que je croise au matin,

Seul. Ici la Mort peint, lasse, artistement chante,

Et puis l’emportera, seul… Pourtant la Mort peint,

Ou cisèle des vers d’adolescente aimante.

 

Manoir clôt au néant, bouton natal aphteux,

Où je suis un marmot qui parle d’évidence

Comme un taré des rues ou comme un rebouteux

Qui vend la même fleur si le mal recommence.

 

La chambre de la Mort est un nid de velours

Lourd et multicolore, un peu de maquillage

En poudre vogue encore. A l’horizon des jours

Le ciel vide subit un ultime pillage.

 

J’entre… la grâce broie à moitié mon esprit…

De la grâce ou l’enfer au plus doux des arômes ?

Les deux certainement… J’entends comme le bruit

Des sanglots surhumains d’un milliard de fantômes.

 

J’entre broyé -subtil mouvement d’éventail,

Et le souffle du temps par ses lèvres mi-closes

Qui frémit… Là mon cœur enveloppé d’émail

Sent muer l’univers lavé de toutes choses.

 

L’effroi n’est pas le nœud du grand problème humain,

Pas tant que son chemin de ronde ne traverse

L’abdomen… c’est mon tour, il vous siéra demain,

Et vous l’implorerez au sol, à la renverse.

 

Geste sublime, faux, tout comme la passion :

Madame de la Fin se drape de fourrure,

Un corset violet rougeoyant fait pression

Sur sa poitrine ; on voit s’ouvrir la déchirure.

 

« Madame de la Fin je suis un nourrisson,

S’il se peut que je meurs dans les bras d’autres femmes,

Que je fleurisse ailleurs qu’où passe la moisson,

Que je prenne les mots et les plis d’autres drames,

 

S’il se peut qu’un enfant des toits désamiantés

Renonce aux vieux sentiers dont la terre est l’empreinte

Des pas que vous menez à la lyre ; enchantés

Par le La sans appel des cris et de la crainte.

 

S’il se peut, s’il se peut, diva du ciel pillé

Par des doigts receleurs de rêves blancs, d'étoiles,

Qui de votre palais n’avez pas sourcillé

Quand l’être fut souillé dans sa chair et sa moelle !

 

S’il se peut, votre altesse qui se pomponne et fait

Semblant d’être fatale aux yeux de la mémoire,

Que l’aube qui suit tel massacre sans effet

N'en couve pas le fils bâclé, la pauvre gloire.

 

Catin du jour soufflé comme un cierge sans foi

S’il se peut la vie hors de tes humeurs changeantes,

Une autre mise en bouche ô Mort une autre loi

Que celles du roman noir et de ses amantes,

 

Vous pleurerez Madame ! S’il se peut la Fin

N’aura pas lieu, le peuple de la peur aveugle

Aura franchi l’étang du Narcisse défunt ! »

Mais Madame me dit que je braille, je beugle

 

Et qu’il faut murmurer ici : là : nulle part…

Elle a la tête ailleurs, et fredonne des notes,

La pupille est perdue ; elle a l’âme au départ…

Elle a l’âme au départ... Humains voici nos fautes

 

Ravalées comme une glaire rouge de sang

Qui m'arrache un frisson, me brûle l'œsophage...

Ma pupille a versé le long sanglot puisant

Sa source dans les yeux d'un gosse indigne et sage.

 

"Pourquoi nous ignorer quand nous parlons d'amour ?

Nous n'en parlerons plus quand vos deux mains, vos mains

Sans matière féconde auront éteint le jour.

-Mains- quand vos mains auront pétri nos lendemains !

 

Alors écoutez tout : mes mensonges, mes vœux !

Ce qu'ivre, psalmodié, ma bouche putréfie

Car je n'ai pas toujours dit ce qu'on dit mieux...

Mais Madame écoutez, de l'essence à la lie :

 

Je suis un mort-vivant qui marche dans mes pas,

Je suis vieux : j'ai quinze ans et je médis des filles

Comme du ciel, un temple où je ne veille pas

Captive une vestale adorable, en guenilles.

 

Aussi je n'ai de dieu qu'un rêve dévoyé,

Qu'une perle sacrée autant que ses fissures ;

Manuscrit sale sur pupitre de noyer

Où tous les paradis connus se défigurent.

 

L'oubli, l'immense oubli qui traîne à vos talons

Est un ami d'enfance que je ne peux craindre...

Il vous suit mais sera partout où nous allons,

Partout où nous allons pourrir puis nous éteindre.

 

J'eusse été votre égal si je niais mes pleurs,

Vous pourriez être mienne, on a vu des poètes

Esquisser un clin-d ‘œil quand vous avez dit :"Meurs !",

Ils vous avaient séduite, extrême des conquêtes.

 

Nous n'avons pas fini de chercher vos regards

Quand la nuit malheureuse instamment vous appelle...

Courir droit jusqu'à vous, rattraper les retards

De l'Etre, du Néant ; de leur longue querelle.

 

J'entreprends ce discours sous vos yeux médusés

De me voir ici-même où vivre se termine

A vous parler d'amour, de chagrins plus usés

Que le chevalier qui brandit la famine,

 

Mais c'est mon rôle -ou pas- je m'en suis fait le don

Un soir sous les arceaux de vignes, la folie

M'avait giflé pourtant j'accepte son pardon :

Elle a le baiser d'or et la claque polie.

 

Entendez-vous, ma chère, un petit peu mes mots ?

Ce sont des mots de gosse au but infanticide,

Des mots de pas grand-chose, de qui jouit des maux

Persiennes closes, l'âme entr'ouverte et lucide.

 

Ils ne sont pas du roi des rois, ce sont les miens ;

Je les dis en tremblant des pieds à la tête

Ils sont mes ailes par mille autant que mes liens

A la terre, au ciel pur, au vent, à la tempête.

 

Et vous les entendez, comme un tressaillement

Vous heurte, vous semblez une mère attendrie

Pourtant ce sont les mots simples du sentiment ;

Ce ne sont pas les mots brûlés d'Alexandrie...

 

Aimez-vous les entendre, mère de la nuit,

Mère de nos soupirs au sein des cimetières,

Mère qui n'enfanta jamais que de l'ennui,

De la désespérance au porte des mystères ?"

 

Se lever avec toute une noblesse et l'air

D'être plus que la femme et plus que la déesse ;

M'examiner soudain, faire onduler le vair,

Sentir mon corps détruit quand son œil me dépèce.

 

"Enfant ? Toi ? Quel enfant surgit avec le deuil

D’un soldat de toujours, qui dans chaque pupille

Cache une nef allant sans regret à l'écueil,

Dans ma chambre ? Tu mens, seul ton mensonge brille.

 

Mais je veux bien l'entendre, on se fait à l'humain...

Tes mots ont ce goût trouble, émouvant, que la bouche

Ne comprend pas. Mais viens par ici, prends ma main...

Tu n'es plus de ceux-là défunts quand je les touche.

 

Mon enfant, vieil enfant, attardé, médisant ;

Crucifié sous le ciel ou tombé dans la fosse

Qui me parle des mots dans les mots s'enlisant ;

Déclame les derniers avant l’heure de noce : »

 

Madame m’a promis l’épouvante et la soif

Apaisée en riant d’être dieu pour la foire

Humaine que la main destinale décoiffe

De sa couronne de lys et de rêve noir ;

 

L’être multiplié, l’atome et l’univers

Les circonvolutions du temps et de l’espace,

L’amour natal et pur, le vieil amour pervers,

L’incendie et la plaine et le soir en terrasse !

 

Ce que je ne fus pas m’implore, un revolver

Prêt à baiser ma tempe appuie et me condamne

A la nuit de la chair, du ventre grand ouvert

De Madame, à la nuit où toute rose fane…

 

« Soit ! Allons-nous coucher ! Puisqu’il faut qu’une Fin

Bénisse les adieux autant que la rencontre,

Il faut un moment phare, il nous faut le chagrin,

Il faut savoir pleurer en regardant sa montre,

 

Il faut savoir aimer ce qui passe et qui meurt,

Au seuil du premier jour il faut une menace

Effroyable ; le glas des battements de cœur,

Il faut savoir mourir pour aimer ce qui passe,

 

Il faut le précipice au bord de nos chemins

Afin d’être famille, amants, oncles et frères

Il nous faut pour aimer aller entre vos mains

Car pour aimer la paix il nous faut mille guerres,

 

Des saintes agonies quelques nécessités,

Quelques douleurs sans nom nous parlent d’injustice,

D’innocents malheureux, de sombres vérités,

Mais Madame, je sais, vous n’êtes pas complice…

 

Dès lors finissons-en, ôtez votre corset,

Car la petite mort c’est notre grand secret ! »

Partager cet article
Repost0

commentaires

A
Merci très beaucoup pour ce post. Merci.
Répondre