Et puis, qu'avez -vous vu ?
Seconde version.
Par Elsma
Sitôt le grouillement des termitières d'or
Nous portions l'orphelin hors des noires écumes,
Frères, sachez-le ; nous vîmes ce que nous pûmes
Au Sahel inondé de sable et de fluor.
Sitôt que l'hydre lent dévora le parfum
Des nanas en sommeil aux paumes scarifiées,
A la chair incarnat, aux mèches falsifiées,
Aux dix ongles vernis, au beau regard défunt
Nous avons rattaché le peuple des îlots
Ensemble avec des liens de laine fatidiques
Mais le chant psalmodié par les anges pudiques
N'a jamais remué nos membres en morceaux !
Il me semble que l'homme on ne le vit géant
Que seul ; qu'il est marcheur dans la course des mondes
Depuis qu'on vit s'enfuir les nébuleuses rondes
Derrière un réverbère, et ce jusqu'au néant...
On vit gesticuler la candeur d'un bétail
Avec un bêlement infect et qui perdure,
Et des yeux grands ouverts issus de la torture
Qui buvait au ruisseau de curare et d'émail.
On ne vit pas se tordre un étrange chemin
Vers l'empire intérieur où de parfaits mensonges
Se terrent mais on vit se gonfler les éponges
De nos cœurs poinçonnés d'un hydrolat malsain !
On vit dans notre gorge une dose de lait
Que l'extase monta jusqu'à l'ébullition,
Bu sur les joues nacrées, sans nulle permission,
Des fiancées d'un soir d'où le sublime naît.
Sur nos lèvres on vit ces délices germer,
Puis nous les avalions, nous partagions nos bouches
Avec des mors d'acier qu'on avala, farouches,
Et farouches au point d'avaler le cocher !
Nos iris ont mordu la crème du whisky
Et la glace ! Affalés dans l'hiver de notre âge :
Les restes d'un regret, l'environ d'un orage,
Dans un fauteuil marron, sur du Tchaïkovski.
On vit le mois joyeux d'avril remémoré
Plein de réelles fées relatées dans un conte,
Nous n'avions pas d'honneur, nous n'avions pas de honte,
Jusqu'au jour où survint la joie en réméré !
On vit nos poings en feu marteler les fronts plats
Des gotha prosternés aux panards des richesses
Puisqu'on les vit pointer d'un doigt lourd de paresses
Les exilés et les sbires mêlés en tas.
On se vit accueillir leur peine avec douceur
Car nos esprits errants magnétisaient les nues
Et sous le faix léger des insultes accrues
On se vit tous danser ; et soliste et valseur !
Je ne garantis pas que notre œil était nu
Lorsque nous avons vu le fiel et les mirages
Splendides, indistincts... mais voici des images ;
Et qu'après l'on nous dise : « Et puis, qu'avez-vous vu ? » !