30 janvier 2010
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04:38
Trois jours dans le désert :
Jour deux.
Jour deux.
Ca brûle! Mais ça brûle! C'est quoi? Du sable. Merde.
Quel rêve faisais-je pour l'oublier? Il est si présent qu'au réveil il m'efface de l'esprit ce qui n'est pas jaune, minéral et en grain, j'ai rêvé, c'est sûr ; mais de quoi? Il fait... chaud. Je me mets à l'ombre. Je cherche les bribes de ma nuit. Rien. Tant pis : Place au rituel!
Je m'allonge au plus près de la pierre à ombre et c'est parti! Et une, et deux! On accélère progressivement... Une, et deux, une, deux, un'deux, un'deux, un'deux, un'deux, un'deux! Une... deux! Je suis saisi d'un vertige, mon corps se crispe et mon âme dégouline! Ca palpite entre mes doigts! Je serre entre le pouce et l'index : Et une, et deux. Mon sphincter ne laisse plus rien passer, contracté au maximum tout le plaisir et pour moi. Mes genoux se soulèvent par à-coup et une onde puissante se transmet jusqu'à mes cils! Mon coeur frappe à ma cage thoracique pour pouvoir s'envoler! Et une... Tout est sorti.
Je ne prend jamais assez mon temps pour ces choses là.
Je me lève, secoue le tout et remet mon pantalon. Je me sens bien.
Je vais chercher un peu le caillou d'hier avant d'aller travailler. Il me semble qu'il était par là... Oui! C'est lui! Je le range. Une excellente journée qui s'annonce! Allez, au turbin!
Je travaille jusqu'à ce que le soleil ne me le permette plus. J'ai bien avancé ; je peux désormais jeter mes cailloux sur mon rocher et tout cela est satisfaisant.
Voilà dix tours de passés, pas un de perdu, la vie est belle.
Il est temps d'aller chasser, si ce bonheur est une ligne droite je devrai trouver les parents du petit que j'ai partagé avec les vers. Je saisis ma pierre-arme ; pointue et très solide c'est ma seule défense. Je pars.
Mon territoire se limite aux endroits d'où je peux voir ma maison. En cas de tempête je n'ai qu'à rester stoïque et je retrouve mon domicile sous le calme du vent. Au delà j'y ai passé trop de temps, ignorant tout sur tout, et mon point de départ, et mon itinéraire, et mon point d'arrivée. J'ai ici un endroit où je peux circuler librement, car j'y ai des frontières. C'est une partie du désert moins horrible que le reste.
Pour chasser, je me place en haut d'une dune et j'attend que passe un chien sauvage. J'ai bien pensé à amener mes cailloux et mon rocher, pour patienter, mais une tempête pourrait disperser mes projectiles à tout jamais.
J'attend.
En voilà un! Je célèbrerai ce jour et le graverai fort bien! Ils est plutôt loin. Je place les ossements de mon repas à côté de moi et prend le temps de m'ensevelir complètement. Un grand vent et c'est la mort, c'est le risque à prendre.
J'attend encore.
Il arrive qu'ils ne viennent pas, qu'ils aient déjà mangé où qu'ils perçoivent le traquenard. De plus, je n'entend rien. Il faut que je les sente me piétiner.
Le temps passe, sûrement. J'ai peur du sable... Et si jamais je m'enfonçais là dessous et qu'il m'enterre vivant? Et si le bout de ceinture roulé qui me sert de tuba s'obstruait? Et si je m'asséchais, si l'eau de mon corps était drainée? Vite! Qu'il arrive!

Il est arrivé... Je sens : Deux, trois, non... Deux pattes! Ah, quatre... quatre. Crac!
Je l'attaque par dessous, en lui immobilisant la gueule d'une main et en lui fendant le crâne de l'autre. Le petit aboiement aigu, plaintif et bref que j'entend à ce moment fait toujours sont petit effet... Mais là elle est morte, car c’est une femelle, la langue collant au sable.
Elle est plutôt grosse, c'est une bonne chose. J'ignore si elle est parente du bébé, je ne sais même pas si ils sont de la même espèce ; c'est de la viande dégueulasse, voilà tout. Qu’elle eût mangé les restes de sa progéniture n'aurait rien d‘extraordinaire. Ironiquement, elle lui succède. Je la ramène sur mon épaule, le sang coule. C'est qu'elle me lâche un son! Un ronronnement. Je la balance à terre et lui assure le silence à coups de pied dans son ventre. Qui se ramollit au fur et à mesure.
Avant d'être mangé il faut mourir et être mort depuis un certain temps. Je n'aime pas la viande saignante, surtout à flots. C'est fini? Plus de ronron? Bien.
Je la rapatrie donc à la maison, la pose sur le sol, lui ouvre la cage thoracique à l'aide de ma pierre-arme et, surprise, j'en ai deux pour le prix d'une! Un foetus bien développé s'effondre de ses entrailles. Je le mets de côté et je vide la bête de ce qui n'est pas du muscle et de l'os. J' y balance trente mètres plus loin et laisse un sable marron et rouge où je m'essuie les doigts, je me les passe ensuite dans l'eau. Je prend quelques grosses pierres, brise le reste de ses côtes et les dépose sur son flanc afin de fermer ma conserve. Je verse du sable dessus. Elle tiendra deux jours, au plus. Son gosse fera un repas.

La nuit étale les premières dentelles de sa robe. J'aime le soir, il ne fait ni trop chaud ni trop froid, le sable devient confortable. Je m'y allonge et attend le débarquement de la lune. Je réfléchis. Suis-je capable de retourner parmi les hommes? Je suis passé par le désespoir absolu. J'ai mené une vie sans dénouement, aucun. J'ai tiré par la queue un gros lézard et je l'ai mordu à vif, j'ai croqué son estomac pendant qu'il gesticulait, je l'ai tout mangé, j'ai recraché ses yeux et j'ai roté. J'ai dormis et me suis réveillé sous les dents et les becs des charognards. J'ai mâché et digéré une partie de ma chemise... Quelles conversations pourrais-je tenir?
Et puis il n'y a pas que ça... Je ne regrette rien du monde civilisé. Je devrais peut-être pleurer les îles flottantes ou le corps des femmes, faire le deuil de certains yeux qui plus jamais ne me verront, frapper le sol de poing de n'avoir rien été avant de disparaître, souffrir et souffrir encore au souvenir de l'instant crucial qui m'à amener jusqu'à aujourd'hui. Rien.
Je devrais peut-être me parler d'amour, me dire qu'il y en aura un peu pour moi car j'en mérite comme tout le monde... Mais bon, m'en donnera-t-on pour autant?
En ai-je à donner? Quand, entre l'abattage de coyote errant et l‘indigestion monstrueuse, ai-je emmagasiné de l'amour à redistribuer? J'ai l'impression de m'être en tous points opposer à l'homme tel qu'il est devenu lorsque tous mes problèmes se sont résolus dans un tas de viande et une source d'eau... Si j'ai de l'amour, pourrais-je lui en donner?
Suis-je capable de ne vivre qu'à travers des cycles, moi qui ai connu toutes les longévités? La mode, la grande idéologie, le visage sous les projecteurs, la direction des sentiments, l'humeur, les moeurs mauvaises et les bonnes moeurs, la destination rêvée, la médecine efficace, ce qui est drôle et ce qui ne l'est pas, la cible de l'indignation et la durée de vie conseillée ; tout fluctue perpétuellement chez les hommes. Chez moi, tant qu'il ne pousse pas de jambes aux pierres et que le soleil n'explose pas, je peux dormir tranquille. Ce que je fais après avoir profondément gravé cette journée.
J'ai entendu des pas! C'est sûr, je... Bordel, je vois rien! J'en suis sûr... C'était un frottement régulier et ça s'enfonçait davantage que les canins... Mais qu’est-ce qu’il se passe! C’était bien des pas! Des pas de quoi? J’ai envie de le crier, je me retiens. Je regarde de partout, mes pupilles ne veulent pas s’adapter, je me lève et fais un tour dans les parages... Rien de louche. Mais c’était quoi ça? C’est pas possible! Qu’est ce qu’il s’est passé? C’était des pas humains, comme les miens! C’était tout près. A deux mètres! Mais c’est pas possible!
Oui. Ce n’est pas possible... Il faut que je me calme. Il n’y a personne pour marcher ici à part moi, ça fait longtemps que je le sais. Je me recouche et tente de retrouver le sommeil.
Les traces ne s’effaceront peut-être pas pendant la nuit, je saurai demain.
Quel rêve faisais-je pour l'oublier? Il est si présent qu'au réveil il m'efface de l'esprit ce qui n'est pas jaune, minéral et en grain, j'ai rêvé, c'est sûr ; mais de quoi? Il fait... chaud. Je me mets à l'ombre. Je cherche les bribes de ma nuit. Rien. Tant pis : Place au rituel!
Je m'allonge au plus près de la pierre à ombre et c'est parti! Et une, et deux! On accélère progressivement... Une, et deux, une, deux, un'deux, un'deux, un'deux, un'deux, un'deux! Une... deux! Je suis saisi d'un vertige, mon corps se crispe et mon âme dégouline! Ca palpite entre mes doigts! Je serre entre le pouce et l'index : Et une, et deux. Mon sphincter ne laisse plus rien passer, contracté au maximum tout le plaisir et pour moi. Mes genoux se soulèvent par à-coup et une onde puissante se transmet jusqu'à mes cils! Mon coeur frappe à ma cage thoracique pour pouvoir s'envoler! Et une... Tout est sorti.
Je ne prend jamais assez mon temps pour ces choses là.
Je me lève, secoue le tout et remet mon pantalon. Je me sens bien.
Je vais chercher un peu le caillou d'hier avant d'aller travailler. Il me semble qu'il était par là... Oui! C'est lui! Je le range. Une excellente journée qui s'annonce! Allez, au turbin!
Je travaille jusqu'à ce que le soleil ne me le permette plus. J'ai bien avancé ; je peux désormais jeter mes cailloux sur mon rocher et tout cela est satisfaisant.
Voilà dix tours de passés, pas un de perdu, la vie est belle.
Il est temps d'aller chasser, si ce bonheur est une ligne droite je devrai trouver les parents du petit que j'ai partagé avec les vers. Je saisis ma pierre-arme ; pointue et très solide c'est ma seule défense. Je pars.
Mon territoire se limite aux endroits d'où je peux voir ma maison. En cas de tempête je n'ai qu'à rester stoïque et je retrouve mon domicile sous le calme du vent. Au delà j'y ai passé trop de temps, ignorant tout sur tout, et mon point de départ, et mon itinéraire, et mon point d'arrivée. J'ai ici un endroit où je peux circuler librement, car j'y ai des frontières. C'est une partie du désert moins horrible que le reste.
Pour chasser, je me place en haut d'une dune et j'attend que passe un chien sauvage. J'ai bien pensé à amener mes cailloux et mon rocher, pour patienter, mais une tempête pourrait disperser mes projectiles à tout jamais.
J'attend.
En voilà un! Je célèbrerai ce jour et le graverai fort bien! Ils est plutôt loin. Je place les ossements de mon repas à côté de moi et prend le temps de m'ensevelir complètement. Un grand vent et c'est la mort, c'est le risque à prendre.
J'attend encore.
Il arrive qu'ils ne viennent pas, qu'ils aient déjà mangé où qu'ils perçoivent le traquenard. De plus, je n'entend rien. Il faut que je les sente me piétiner.
Le temps passe, sûrement. J'ai peur du sable... Et si jamais je m'enfonçais là dessous et qu'il m'enterre vivant? Et si le bout de ceinture roulé qui me sert de tuba s'obstruait? Et si je m'asséchais, si l'eau de mon corps était drainée? Vite! Qu'il arrive!

Il est arrivé... Je sens : Deux, trois, non... Deux pattes! Ah, quatre... quatre. Crac!
Je l'attaque par dessous, en lui immobilisant la gueule d'une main et en lui fendant le crâne de l'autre. Le petit aboiement aigu, plaintif et bref que j'entend à ce moment fait toujours sont petit effet... Mais là elle est morte, car c’est une femelle, la langue collant au sable.
Elle est plutôt grosse, c'est une bonne chose. J'ignore si elle est parente du bébé, je ne sais même pas si ils sont de la même espèce ; c'est de la viande dégueulasse, voilà tout. Qu’elle eût mangé les restes de sa progéniture n'aurait rien d‘extraordinaire. Ironiquement, elle lui succède. Je la ramène sur mon épaule, le sang coule. C'est qu'elle me lâche un son! Un ronronnement. Je la balance à terre et lui assure le silence à coups de pied dans son ventre. Qui se ramollit au fur et à mesure.
Avant d'être mangé il faut mourir et être mort depuis un certain temps. Je n'aime pas la viande saignante, surtout à flots. C'est fini? Plus de ronron? Bien.
Je la rapatrie donc à la maison, la pose sur le sol, lui ouvre la cage thoracique à l'aide de ma pierre-arme et, surprise, j'en ai deux pour le prix d'une! Un foetus bien développé s'effondre de ses entrailles. Je le mets de côté et je vide la bête de ce qui n'est pas du muscle et de l'os. J' y balance trente mètres plus loin et laisse un sable marron et rouge où je m'essuie les doigts, je me les passe ensuite dans l'eau. Je prend quelques grosses pierres, brise le reste de ses côtes et les dépose sur son flanc afin de fermer ma conserve. Je verse du sable dessus. Elle tiendra deux jours, au plus. Son gosse fera un repas.

La nuit étale les premières dentelles de sa robe. J'aime le soir, il ne fait ni trop chaud ni trop froid, le sable devient confortable. Je m'y allonge et attend le débarquement de la lune. Je réfléchis. Suis-je capable de retourner parmi les hommes? Je suis passé par le désespoir absolu. J'ai mené une vie sans dénouement, aucun. J'ai tiré par la queue un gros lézard et je l'ai mordu à vif, j'ai croqué son estomac pendant qu'il gesticulait, je l'ai tout mangé, j'ai recraché ses yeux et j'ai roté. J'ai dormis et me suis réveillé sous les dents et les becs des charognards. J'ai mâché et digéré une partie de ma chemise... Quelles conversations pourrais-je tenir?
Et puis il n'y a pas que ça... Je ne regrette rien du monde civilisé. Je devrais peut-être pleurer les îles flottantes ou le corps des femmes, faire le deuil de certains yeux qui plus jamais ne me verront, frapper le sol de poing de n'avoir rien été avant de disparaître, souffrir et souffrir encore au souvenir de l'instant crucial qui m'à amener jusqu'à aujourd'hui. Rien.
Je devrais peut-être me parler d'amour, me dire qu'il y en aura un peu pour moi car j'en mérite comme tout le monde... Mais bon, m'en donnera-t-on pour autant?
En ai-je à donner? Quand, entre l'abattage de coyote errant et l‘indigestion monstrueuse, ai-je emmagasiné de l'amour à redistribuer? J'ai l'impression de m'être en tous points opposer à l'homme tel qu'il est devenu lorsque tous mes problèmes se sont résolus dans un tas de viande et une source d'eau... Si j'ai de l'amour, pourrais-je lui en donner?
Suis-je capable de ne vivre qu'à travers des cycles, moi qui ai connu toutes les longévités? La mode, la grande idéologie, le visage sous les projecteurs, la direction des sentiments, l'humeur, les moeurs mauvaises et les bonnes moeurs, la destination rêvée, la médecine efficace, ce qui est drôle et ce qui ne l'est pas, la cible de l'indignation et la durée de vie conseillée ; tout fluctue perpétuellement chez les hommes. Chez moi, tant qu'il ne pousse pas de jambes aux pierres et que le soleil n'explose pas, je peux dormir tranquille. Ce que je fais après avoir profondément gravé cette journée.
J'ai entendu des pas! C'est sûr, je... Bordel, je vois rien! J'en suis sûr... C'était un frottement régulier et ça s'enfonçait davantage que les canins... Mais qu’est-ce qu’il se passe! C’était bien des pas! Des pas de quoi? J’ai envie de le crier, je me retiens. Je regarde de partout, mes pupilles ne veulent pas s’adapter, je me lève et fais un tour dans les parages... Rien de louche. Mais c’était quoi ça? C’est pas possible! Qu’est ce qu’il s’est passé? C’était des pas humains, comme les miens! C’était tout près. A deux mètres! Mais c’est pas possible!
Oui. Ce n’est pas possible... Il faut que je me calme. Il n’y a personne pour marcher ici à part moi, ça fait longtemps que je le sais. Je me recouche et tente de retrouver le sommeil.
Les traces ne s’effaceront peut-être pas pendant la nuit, je saurai demain.