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30 septembre 2009 3 30 /09 /septembre /2009 05:37


Le trou dans la mer :

  Je quittai le port un Jeudi, adieu France. Que les flots te portent loin, vieux vaisseau!
Va trouver tes abysses à la fin du naufrage! je ne veux pas voir ça : ta coque fissurée l'infiltration du mal la noyade générale la mort des hiérarchies. Loin de moi!

 

  J'ai dû naviguer deux jours sur l'atlantique. En priant de n'apercevoir aucune parcelle de terre, aucun paquebot, aucun yacht, aucune trace d'intelligence. A l'arrivée du grand tourbillon je ne voulais être secouru ; il s'agissait de se fondre avec la dévastation pour ne pas être dévasté, laisser ma barque portée par les vagues en désordre, ne surtout pas tomber au fond de l'oeil des eaux comme dans un gouffre, et mourir.


 

  Ce tourbillon se laissa prévoir vers la tombée de la nuit ; soudain, L'océan s'allongea, dans un immense soupir qui l'apaisa totalement.
Puis il frissonna avec douceur, débuta un bal de scintillements, les reflets du ciel rouge pétillaient, se croisaient, ils faisaient de beaux pas, s'éteignaient aussitôt, là orange! Là violet! Que la lumière danse! Elle s'exposait brièvement, orgueilleuse, cette colonie rampante de danseurs aux flambeaux.
Le rythme s'accéléra, les frissons se hérissèrent, que la lumière procrée! Et plus de danseurs, des pas plus compliqués, impossible à saisir, les nuances fourmillèrent, envahirent l'océan, le tapissèrent et déroulèrent sur lui la lumière qui vit, la lumiére qui existe ou qui se donne ce rôle dans ce puissant spectacle.
Je sentis au bout d'un moment comme un décalage dans le rythme, que certaines de ces troupes scintillantes étaient portées par un courant insolite, de ci de là mais suivant le même mouvement latéral. Je remarquai que ces troupes dissidentes s'aggloméraient vers un centre, la rébellion s'amplifia assez rapidement jusqu'à ce qu'en ce centre naisse brutalement un trou, comme un dard de vent plongé à travers la surface dont la pointe aspirait l'océan.


  Il était là, le grand tourbillon, au diamètre croissant, je l'ai aperçu lorsqu'il mesurait environ trente centimètres et l'ai clairement distingué lorsqu'il en mesurait cent.

Sa paroi approchait, je me couchai sous la traverse qui servait de banc. Ma barque se pencha doucement, ça allait, puis elle ne put affronter la verticalité du tourbillon et se retourna, si bien que, appuyé sur la planche, mon vaisseau en carapace ; je tombai.

  L'hypnose m'embrassa à la vue du décor qui précédait la fin, car c'était lui: Le grand trou où ombre et lumière chutent désespérément, le trou goulu qui mastique la mer et suce le ciel ; car la nuit était là, il l'avait aspiré. Il avait tout aspiré ; bateaux aux poupes rompues ; bancs de maquereaux ; requins ; poissons velus, bizarres ; les sirènes d'Atlantide aussi ; le calmar géant ; le coeur de Davy Jones ; j'ai même vu des hommes. Tous déferlaient dans l'écume, se cramponnaient, s'étreignaient, lâchaient l'un pour sauver l'autre, et ils tournaient! Tournaient! Tournaient!  Tourbillonnaient  dans les courants, sans résistance possible, je tombais plus vite qu'ils ne tournaient : disparaissant au dessus de ma carapacecomme si ils remontaient vers la surface, en tournant. 
L'immense roulement de l'eau tonnait, c'était plus le rugissement d'une machine que le cri fluide d'une crue ; ça sonnait plus comme une cymbale pleine de rochers qu'un géant, battant le rythme, secouerait tout près de mes oreilles. Je n'entendais pas les hurlements de détresse des sirènes et des hommes. 

La spirale était d'une telle perfection que je ne savais si je tombais ou si je volais.

Je tombais, en fait.


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